m- rÿ'.v-.: &■ . jv: S:., f-t: »> ■ , -'; -- . W^?: - '• < NOTICE: Retum or renew ail Library Materialsl The Minimum Fee for each Lost Book is $50.00. The person charging this material is responsible for its return to the library from which it was withdrawn on or before the Latest Date stamped below. Theft, mutilatic^Md underlining of books are reasons for discipli- nary action arÆ^y resuit in dismissal from the University. To renew call ^fiéphone Center, 333-8400 UNIVERSITY( ILLINOIS LIBRARY AT URBANA-CHAMPAIGN L161— 0-1096 i Digitized by the Internet Archive in 2017 with funding from University of Illinois Urbana-Champaign Alternâtes https://archive.org/details/cinqmoisaupaysdeOOghik CINQ MOIS AU PAYS DES SOMALIS GENÈVE IMPRIMERIE W. KÜNDIG & FILS Autotypies et Phototypies de la Société anonyme des Arts graphiques :i Genève. • -.r PRINCE NICOLAS D. GHIKA C[NO MOIS AU PAYS DES SDMALIS SUIVI DE LA FAUNE SOMALIE ET d’uNE LISTE DES PLANTES DECRITES PAR G. SCHWEINFURTH ET G. VOLKENS. AVEC 1 CARTE ET ILLUSTRATIONS D’APRÈS LES PHOTOGRAPHIES DE l’auteur. BEHGKK-LEVRAULT ET LIBRAIRES-ÉDITEURS PARIS 5, RUE DES BEAUX-ARTS 1898 NANCY 18, RUE DES GLACIS Tous droits réserves. iU.3S 3 ’- / . _ / ^ PRÉFACE Attirés par le récit des l)eaiix exploits cynégétiques, accomplis ces dernières années dans le Somaliland [)ar les chasseurs européens, nous résolûmes, mon père et moi, d’aller y tenter la fortune du fusil. Notre hiit était avant tout d’échanger pour quelques mois la monotonie de la vie civilisée contre les émo- tions, les aventures et les dangers d’une expédition dans un pays peu ex])loré ou inconnu; sous ce rapport, notre programme fut bien rempli. Le résultat n’a pas laissé d’être brillant, aussi, en ce qui concerne les suc- cès de chasse et les surprises de l’exploration. Au retour, j’ai fait ce livre avec mes souvenirs et mes notes de chaque soir, griffonnées a])rès une émouvante poursuite ou à la fin d’une étape. — Il n’a pas d’autre prétention que d’être le récit simj:)le et exact des aven- tures de deux chasseurs en Afrique. Je l’ai écrit pour ma famille et mes amis, qui pendant de longs mois d’hiver, ont attendu avec anxiété la dépêche définitive annonçant notre retour à la côte et la réussite de l’ex- pédition. — Deux chapitres spéciaux, consacrés aux VI Somalis et à la faune de leur pays, — fruit d’ohserva- tions personnelles, de récits authentiques ou de lec- tures contrôlées, — le complètent et Téclaircissent. — Les illustrations, qui permettront au lecteur de nous suivre pas à jnis, sont la re])roduction des plioto- graphies exécutées par mon j)ère. Je tiens encore, avant de terminer ces ([uelques lignes |)réliminaires, à remercier ici les autorités an- glaises cLAden comme celles de la côte Somalie pour leur bienveillant concours et leur gracieuse hospitalité. Prince Nicolas I). Ghika. LE PREMIER RHINOCEROS CHAPITRE PREMIER A I) 1<] N ET B E R B E B A La traversée. — Briiidisi. — Port-Saïd. — Suez. — Bab-el-Mandeb. — Arrivée à Adeii chez le gouverneur. — Préparatifs de l’expédition. — Promenades en ville. — Départ pour l’Afrique sur le stationnaire anglais. — Maït. — Haïs. — Koram. — Arrivée à Berbera. — Chez le capitaine Abud. — Eggeh Narlayo ; notre escorte. — Première étape . O octobre 1895. — Trieste... deux tours d’hélice... un peu d’écume et déjà les détails du port s’effacent, les visages disparaissent; les derniers êtres connus rentrent dans rimpersonnalité de la foule. Tandis que notre vais- seau tressaille et vibre, en nous emj)ortant d’un sûr essor, je songe à la rapidité avec laquelle les forces f[ue notre science a mises dans cette coque de fer et de bois, nous ont arrachés à notre sphère de vie habituelle ; il est vrai que ces mêmes forces nous donnent mille facilités ])our l’étendre et l’agrémenter ; comme preuve vivante une chaloupe est venue tantôt nous ajTporter de loin- taines missives et des télégrammes, nous montrant que jusqu’à la dernière minute, l’industrie humaine jTOuvait nous rendre ])résents la patrie, la famille et le foyer. Mais désormais tous ces secours vont nous faire défaut, sauf en ce qui regarde notre sécurité ])ersonnelle et nos moyens de défense. Dans le pays perdu qui est notre but de voyage, les bureaux de poste sont aussi rares que de la terre à la lune, et si de là-bas, nous pourrons donner quelquefois de nos nouvelles, nous ne ])ourrons plus songer à en recevoir. Pendant cinq mois nous n’aurons ni lettres ni journaux. Va dans la joie triste du déj)art, je vois s’évanouir les derniers vestiges des lieux où nous étions tantôt ; je me laisse aller peu à peu au plaisir paresseux de sentir ma vie se dérouler devant moi sans avoir rien à faire pour la changer, le mouvement des choses me donnant à lui seul la quantité d’émotion voulue ; et je vois se dérouler devant moi la côte dalmate eomme un inter- minable ])anorama. Puis à mesure que les terres s’éloignent pour ne ])lus nous aj)paraître jusqu’au but que comme des lignes bleues à l’horizon, ou de vulgaires râteliers de charbon à l’usage de notre brave machine, je pense avec tout mon appétit de chasseur passionné à mes futurs succès cynégétiques dans le Somaliland. Puis, repu de ces belles fumées, ayant ta])issé mon imagination de toutes les ])elleteries africaines, je reviens de nouveau à la réalité qui m’entoure et je passe de l’histoire naturelle des l)êtes à celle des passagers. Sur notre « Imj^era- trix )) (du Lloyd Autrichien) ce sont })our la plupart des Anglais, officiers et fonctionnaires qui rentrent aux Indes, après avoir passé leur congé d’été en Angleterre. — Ils sont nond)reux. — Nous les connaîtrons vite. Le — 3 — moyen d’être réunis sur les quelques mètres carrés d’un pont et par une mer agitée, sans entrer tant soit j)eu en relation. On s’étudie; on échange quelques mots hanals sur l’état du ciel, sur la couleur de l’eau, sur l’heure à laquelle on arrivera à Port-Saïd ou Suez (immanquable); insensiblement la glace se rompt et bientôt s’établit cette intimité particulière des prison- niers, des voyageurs au long cours et des gens qui attendent ensemble un médecin ou un dentiste. — Le capitaine et les officiers, habitués à leurs hôtes, sont rem|)lis de prévenances et tachent de rompre autant que possible par toute espèce de distractions la mono- tonie pourtant non sans charme de la vie à bord. Le navire est tout animé par de nombreux enfants gais et bien portants qui, après avoir été soustraits, pendant la saison chaude, au soleil des tropiques, retournent en Extrême-Orient passer l’hiver auprès de leurs parents. 4 octobre. — Ciel clair... Mer unie... ; des montagnes roses bordent le ciel du côté de l’Italie. Nous dépas- sons la petite île autrichienne de Pelagosa. A neuf heu- res du soir Brindisi. Dans l’obscurité qui nous entoure, ce que nous voyons le mieux, à la lueur des réver- bères, ce sont de vilains carrés de papier à couleurs voyantes placardés un peu partout. Les uns re])ré- sentent des affiches électorales ; et nous ne lisons pas cette littérature de gros mots ou de phrases creuses, la même en tous pays ; — les autres, plus intéressants par leur teneur, sont des proclamations de la muni- cipalité, qui invite la ]:)opulation bien ]:)ensante à aller acclamer sur son passage, l’illustre citoyen, le général Oreste l^aratieri, qui va s’eml^arqiier pour l’Afrique afin (le châtier Ménélik. Au bout d’une heure nous ren- trons à bord, escortés j)ar une foule de petits va-nu ])ieds, braillards, collants, impertinents, (jui ont ])oussé dans tous les coins comme des champignons et sem- blent le j)roduit naturel, la végétation désagréable des cpiais maritimes. Le lendemain nous tirons un beau coup de chapeau aux Iles Ioniennes et au soir, nous dépassons le cap Matapan. Le b, dans la fraîche clarté matinale, nous doublons le promontoire occidental de l’île de Crête. Pendant une heure ce sont de hautes montagnes grises, des falaises à pic, une côte blanche d’écume. Un joli décor en somme, pour un opéra; par malheur on n’y joue que des drames. Puis le ciel et l’eau se rejoignent de nouveau comme mécontents d’avoir été un moment séparés. L’entrain et la vie, plus que jamais concentrés à bord, ont maintenant pris toute l’intensité désirable. On fait de la musique, on joue aux cartes, aux échecs et au tonneau. Idée bien anglaise, un comité s’est aus- sitôt formé pour organiser toutes les festivités ; et la première chose décidée, c’est de donner un grand bal dès l’arrivée à Suez. Le 7, vers midi, la mer prend une teinte jaune ver- dâtre; c’est la faute du Nil; mais il fait tant de bien, qu’on ])eut bien lui pardonner ses malpropretés. Bientôt nous apercevons à l’horizon deux forêts, l’une de ])al- miers dont on ne voit que les sommets, l’autre de mats (aj)partenant à des barques de ])êche) ; mais la côte est si l)asse qu’on ne ])eut la distinguer encore. Vers trois heures nous arrivons à Port-Saïd et jetons Panere à l’entrée du canal de Suez. Nous descendons à terre; la ville est un j)eu moins sale que les autres cités d’Orient ; nous y achetons d’amples vêtements de toile blanche pour nous garantir de la chaleur, qui va devenir féroce dans la Mer Rouge. — Se mirant dans les eaux du j)ort, nous voyons trois transports turcs ayant six mille hommes à bord, qu’on envoie combattre les nouveaux insurgés de l’Yémen. On renouvelle, en attendant, la provision de charbon . De grands chalands, rem])lis de combustible, sont amarrés le long du bâteau et des centaines de coolies, vêtus de leur peau noire et d’une poussière de houille à ])eine plus noire, montent et descendent les passe- relles, les sacs sur le dos, avec des cris et des gestes diaboliques ; tout cela enflammé parla lueur des torches, pailleté de mille reflets rouges produit un joli tableau fantastique. Le navire qu’on bourre ainsi, se perd dans la nuit, son large tuyau, deviné ])lus qu’aperçu, se dresse vaguement vers le ciel, tandis que l’eau clapote doucement dans les ténèbres, au-dessous. 11 semble ([li on vienne nourrir (pielque énorme monstre d’un autre âge ; l’énorme masse semble vivre d’une vie mystérieuse et bien plus sensible c[ue lorsc[n’elle évolue au grand jour; car alors l’intervention, la présence de l’homme, plus apparentes, diminuent d’autant l’illusion. Vers minuit nous ([uittons Port-Saïd, pour entrer dans le canal de Suez, la traversée durera vingt heures. Le vaisseau se traîne avec lenteur. Un fanal électricjue ])lacé à l’avant, éclaire la marche, car le canal est très étroit et les bâtiments y échouent souvent. Peu d’étapes sont aussi ennuyeuses ; le ])aysage est monotone, des deux eôtés les dunes du désert ; parfois une file de dromadaires ou une drague à va])eur, c’est tout ee f[u’on voit de Port-Saïd à Ismaïlia. Ismaïlia elle- même est une jolie ])etite ville avec des plantations très vertes tout autour, située au bord d’un lac que le canal traverse; après avoir sillonné les eaux de plu- sieurs lagunes analogues (les lacs Amers), nous arri- vons, dans l’après-midi à Suez, où nous voyons le bout de la Mer Uouge au pied d’une haute chaîne de mon- tagnes. Au coucher du soleil, nous partons ; et pour saluer la nouvelle mer qui s’ouvre devant nous, ce soir, il y a grand bal à bord. On a décoré le navire avec des ])avillons de tous ])ays et les signaux maritimes ont servi à former sur le pont une « salle des fêtes » tout à fait réussie. Un grand entrain règne ])armi les dan- seurs malgré la chaleur qui commence à se faire sentir, aussi les rafraîchissements dus à la prévoyance du ca- ])itaine, semblent-ils accueillis avec reconnaissance. Le lendemain matin, aj)paraissent sur la côte d’Asie, les sommets arides du Sinaï, d’un jaune ocreux ou d’un brun sale assez triste. Peu à ])eu les dernières brises fraîches cessent ; l’air pèse et bride. Les ]:)assagers restent étendus sur des (‘baises longues, évitant le moindre mouvement. Le vaisseau lui aussi semble ne pas remuer; il s’est recou- vert de toile blanche et seuls les ronllements de la machine, le brusque passage d’une j)etite île rapide- ment laissée en arrière nous font percev(3ir ([ue nous bougeons encore. Ce n’est (pi’après le eoucher du soleil que l’on vit et — 1 — f[ue l’on respire un ])eu... Des l)andes de ])etits pois- sons volants passent comme des j)oignées de brillants au-dessus des vagues et de gros dauphins dansent la bamboula dans notre sillage. Les sports organisés par le (( comité » pour nos propres ébats ont de même un beau succès ; mais avec la température ambiante, ils ressemblent trop à des bains de vapeur. Aj)rès avoir dépassé les îles désertes et calcinées ])ar le soleil qui se trouvent en face de Moka, nous remarquons avec plaisir que les côtes d’Asie et d’Afri- ([ue se sont rapprochées... une brise fraîche (très rela- tivement) nous arrive ; elle annonce la proximité de l’Océan Indien. A droite et à gauche, se dressent de hautes montagnes ; en forme de table du côté africain on tout semble trapu et lourd, dentelées et pittores- ques du côté asiatique. Enfin, le 12 octobre, nous entrons dans le détroit de Bab-el-Mandeb ; la petite île de Périm, aride et basse, mais puissamment fortifiée passe sous nos yeux. Six heures plus tard nous débouchons au milieu de la baie d’Aden, belle, inondée de lumière, entourée de hautes falaises volcaniques que couronnent des forts dissimulés ; ces forts font d’Aden le Gibraltar de l’Océan Indien. Nous faisons ici la connaissance de nos futurs amis, les Somalis : la première impression est bien mau- vaise. Ils envahissent le pont, gesticulant comme des fous, criant comme des sourds, se poussant, se bat- tant, offrant des objets à vendre, nous invitant tous à la fois à monter dans leurs barques, etc., etc. Nous prenons notre dernier repas à bord de \ Impe~ — 8 — ratrix et nous nous sé|)ar()ns non sans i*cgret de nos agréables eoinpagnons de voyage avec lesquels nous avions fini par être dans les meilleurs termes. Une der- nière ])oignée de main, « bon voyage ! » « bonne cliance ! » et nous sommes dans une barque avec nos bagages. Le général Cuningham, gouverneur d’Aden et des ])Ossessions anglaises avoisinantes, avait eu Tobli- geance de nous inviter à loger chez lui, à la résidence (Steamer-Point). Un y arrivant nous sommes reçus à merveille par l’aimable général et son aide-de-camp le lieutenant Redl, de l’Etat-Major des Indes. Mon ])ère avait fait à Londres dans le courant de l’été toutes les acquisitions nécessaires à une grande expédition en Afrique. De nombreuses caisses conte- nant des munitions, des armes, des vivres, des tentes, des outils, etc., nous avaient précédé à Aden, où elles avaient été reçues ])ar le négociant parsi Goswasjee Dinshaw, notre agent, qui les avait déjà fait partir pour Berbera. Aden. — Quelques jours de flânerie sous la conduite de nos hôtes. Au cours d’une promenade faite le long de l’isthme qui relie Aden à la terre ferme, nous visi- tons le camp de cavalerie établi en cet endroit. L’adresse des cavaliers hindous dans le maniement de la lance est vraiment merveilleuse, et le corj)s des chameliers, montés sur des dromadaires arabes, a une silhoutte des plus curieuses. J’ai également conservé un excellent souvenir de notre excursion dans la vieille ville d’Aden, située au fond d’un ancien cratère, et séparée de Steamer-Point par le massif volcanique du UN PAYSAGE DU GOUBAN Ll Cliamchàn; sa population est un mélange d’Arabes, de Juifs et de Somalis ; ces derniers sont les plus nom- breux et les plus bruyants. De tous côtés on voit des petits négrillons chantant à tue-tête de célèbres re- frains anglais; mais il faut beaucoup de bonne volonté pour comprendre quelque chose à leur charabia. Aden a une garnison anglaise proportionnée à son importance stratégique; un régiment anglais, un régi- ment de cipayes, un détachement de génie, plusieurs batteries d’artillerie de forteresse, un petit corps de cavalerie et de chameliers. On ne laisse jamais les troupes plus de deux ans ici ; la chaleur torride des mois d’été anémie raj)idement les Européens et même les Hindous. Les citernes d’Aden, creusées dans les flancs du massif de Chamchân sont remarquables tant par leurs dimensions que par leur antiquité. Les archéologues ne parviennent pas à s’entendre sur leur origine qui se perd dans la nuit des temps. C’est le seul endroit où l’on trouve un peu de verdure, dans ce pays de lave et de soleil. La chaleur est étouffante pendant la journée et ce n’est pas sans peine que nous parvenons à achever nos préparatifs. Le soir, enfoncés dans de confortables fau- teuils, sur la terrasse de la Résidence, nous res])irons un ])eu. La nuit nous dormons dans des chambres situées sur le toit, closes d’un simple treillis de bois à travers lequel la brise de l’Océan vient nous éventer durant notre sommeil. Le 17 octobre nous quittons la demeure hos])italière du général pour nous embarquer à bord du stationnaire \2 — bi itaniiique le « Mayo » eoiniiiaiidé |)ai‘ le ea|)itaine de Ben*y, un eliannant oKieier qui ne songe f[irà nous y faire la vie agréable. x\ paît les officiers du vaisseau, il y a à bord le colonel Feia is, gouverneur de la côte Somalie, dont les conseils et Tassistanee ont beaucoup contribué à la réussite de notre expédition. Nous avons en outre comme eom|)agnons de voyage le |)asteui‘ an- glican de la garnison d’Aden, sa femme et un ea|)itaine de rarmée des Indes, plus une centaine de passagers moins agréables: des Somalis expulsés d’Aden, où ils se livraient au vol et au vagabondage. On les rapatrie de force. Sej)t d’entre eux sautent à la mer et gagnent le rivage, en excellents nageurs qu’ils sont, faisant la nique aux innoml)rables requins de ces parages et à la j)oliee, qui arrive dans une barque, troj) tard comme toujours. Enfin on lève l’ancre et nous mettons le cap sur Maït, village somali, situé entre Berberaet le cap Guar- dafui. Cette nuit sur l’Océan Indien est superbe ; je j)ro- longe largement la veillée pour regarder plus à mon aise le sillage plios])horescent du navire et pour écouter l’intéressante conversation du commandant. Au matin, l’Afrique est en vue, elle nous montre un instant les hautes montagnes du caj) Guardafui, si mal famé auprès des navigateurs. Nous arrivons à Maït, où l’ancre est jetée à 200 mètres d’une plage sablonneuse. . . Deux tours de briques... sur l’une Hotte le dra|)eau an- glais... à côté, des huttes en branchages recouverts de peaux de bêtes ; pas de A’égétation, sauf quelques rares pieds (le baumiers-à-encens. Nous abordons en com|)a- gnie du colonel Ferris, qui vient inq)oser à la tribu de 13 — Maït le paiement cFiine notable indemnité due à la tribu voisine qu elle a pillée. L’amende consiste en 500 rou- pies ; en outre une jeune Maïtienne sera mariée à un jeune homme de la tribu offensée ; (à imiter dans les pays civilisés). La plage s’élève par échelons jusqu’à une série de collines rouges et dentelées, derrière lesquelles on aperçoit très distinctement une chaîne de hautes mon- tagnes bleuâtres. Sur le versant op])osé, dans la vallée du Daror, explorée par M. Révoil, la végétation est plus abondante, le pays plus intéressant. La population de Maït nous reçoit avec beaucoup d’égards ; mais elle témoigne une horreur profonde pour le bull-terrier du commandant, bête impure, d’après eux; on fait de grands détours pour en éviter l’approche. Les guerriers portent avec élégance leur tohè blanc, vêtement identique à la toge romaine, tandis que les femmes portent des costumes analogues à ceux des dames athéniennes de l’antiquité. — Chaque Somali est armé de deux lances, l’une très longue et solide, pour le combat corj^s à corps, et l’autre, légère et bien équi- libi 'ée, qui sert comme arme de jet. Quelquefois ils ont un sabre très court dont ils ravalent l’usage jusqu’à en faire un couteau de cuisine; enfin un petit bouclier rond, artistement ciselé, en peau de rhinocéros, d’oryx ou de girafe. Des sandales à pointes relevées et des amulettes de toute sorte — bracelets d’ambre, verro- terie, coraux, surates microscopiques suspendues au cou, complètent l’équipement. Le même jour nous levons l’ancre et partons pour 14 — Haïs, à une lieure de Maït; on y voit un j)euplus de ver- dure qu’à Maït, ce qui ne veut j)as dire grand’cliose. Nous avons toujours, sur mer, notre escorte de dau- ])liius et de poissons volants; un nuage compact de j)étrels, de mouettes et de cormorans fait de ceux-ci un grand massacre; ils se gorgent tout à leur aise et n’ont que l’embarras de choisir les meilleurs morceaux. Notre nouvelle descente à terre est aussi bien accueillie que la ])remière, par les indigènes. En compagnie d’un lieutenant du Mayo je vais chasser dans un bois de tamarins. Des perdrix et des courlis passent hors de portée : auj)rès d’un ])etit lac, des traces de hyènes et de panthères; mais des traces seulement, hélas! Nous revenons bredouille au village, où, arrivant à l’ impro- viste, nous sur])renons toute la population féminine en train de pérorer et de nous critiquer ni ])lus ni moins. A l’autre bout du village les guerriers dansent et lancent des zagaies pour nous faire honneur. A la tom- bée de la nuit nous rentrons à bord. Le lendemain en nous réveillant nous nous trouvons à Koram, autre exemplaire de Haïs et de Maït ; nous n’y faisons qu’une courte apparition dans la matinée, déjeunons à bord, et arrivons dans ra])rés-midi à Berbera. De loin Berbera paraît à peine un grand hameau. Elle compte ce]:)endant suivant la saison, de 25 à 50,000 hal^itants ; elle est divisée en deux parties bien dis- tinctes, la ville ofhcielle, et la ville noire. Dans la ville officielle, la Bésidence du consul anglais, les prisons, les locaux de l’administration, de jolis jardins entou- rant des maisons de construction égyptienne. A l'est. 15 — s’étend une plaine où l’on jette toutes les charognes et toutes les immondices de Berbera ; c’est le réfectoire de plusieurs milliers de vautours blancs, bruns, jaunes ou roses, apj)rivoisés comme des poulets. En un quart d’heure de marche on traverse cette plaine em])estée et Ton se trouve dans la partie la plus considérable de Berbera, composée de la mission catho- lique, de quelques maisons en briques habitées par des marchands hindous ou arabes, et enfin d’innom- brables huttes en peaux de bêtes où logent près de 25,000 Somalis à côté de leurs chameaux. Chameaux et Somalis font un contraste amusant : autant les bipè- des sont vifs, bruyants, criards, impatients, colères, autant leurs camarades sont lents, méthodiques, pla- cides ; ils ont toujours l’air, ces braves chameaux, de vouloir résoudre quelque grave ])roblème (aj)])aremment celui de leur longue digestion) mais cela ne les em]:)êche pas de faire du travail utile et de fort bien vivre avec leurs bouillants propriétaires. Autour ne nous de nombreux gamins, tous nus, gambadent, jouent ou se baignent. Ce sont pour la plu- ]:>art des enfants abandonnés |)ar leurs |)arents ; dans ce bienheureux pays ils ne meurent jamais de faim. Le résident britannique vient à bord ; c’est le capi- taine Abud qui a vécu de longues années à Berbera, un ty])e de soldat énergique et ex]:)érimenté ; il a l’air de connaître à fond son Somaliland. Il nous invite aimablement à loger chez lui durant notre séjour à Berbera. Nous passons encore une nuit sur le Mayo ; j’en con- sacre une partie à la ])èche à la ligne ; la mer est ])hos- — 16 — j^lîoresccntc, les poissons |)ris sciiihlent être de flamme et Teaii qu’ils lancent en se débattant au bout du fil forme un véritable feu d’artifiee. Le lendemain nous j)renons à regret congé de nos eonq)agnons de route qui repartent pour Aden, et dé- barquons définitivement sur le quai de Berbera. Notre escorte nous y attend, rangée en ligne. Un vigoureux (( salam » salue notre a|)parition. J^’interprète, Eggeli Narlayo, que le général Cuning- ham nous avait choisi à Aden, nous a ])récédés à Ber- bera, où avec l’aide du capitaine Abud, il a engagé l’escorte et acheté les chevaux, les mulets, les ânes et les chameaux nécessaires à l’expédition. C’est un Her- cule en chocolat (et un chocolat très foncé, ])as Menier du tout) aux traits réguliers, coiffe d’un fez rouge et ])lutôt ni])pé à l’arabe qu’à la Somalie. Il a, au côté, un sabre d’argent, offert par le prince Boris Gzetwer- tynski, qu’il a naguère accomj)agné au pays des Masaïs. Sou asj)ect est martial, résolu, il semble très capable de faire face aux dangers et aux difficultés qui [leuvent assaillir une caravane dans l’intérieur du jiavs. La jiro- fonde cicatrice d’un ancien coup de hache, reçu eu combattant, achève d’accentuer le caractère énergique et sauvage de sa jihysionomie. 11 parle l’anglais assez correctement, il a accomjiagné le duc d’Orléans dans son voyage à travers l’Ogo et le llaud. Les trois jours ([ue nous passons à Berbera sont lar- gement remplis par le déballage de nos caisses et la coidection des ballots (pie nos chameaux auront à |)orter. 11 s’agit ensuite d’acheter assez de riz, de dattes et de beurre clarifié pour nourrir nos gens jiendant • i ZEBRE TUE PAR MON PERE DANS LA VALLEE DU DAGIIATO — 17 — cinq mois; il faut nous fournir aussi de plusieurs pièces d’étoffe, comme article d’échange, l’argent n’ayant plus aucune valeur dans l’intérieur du pays. L’interprète nous apprend que les cadeaux les j)lus ap|)réciés par les chefs Somalis sont ceux qui consistent eu toges de drap écossais. Cette couleur est le ((dernier cri » de la mode Somalie. Les gens d’escorte ont ouvert les caisses contenant les carabines Suider et s’en sont emparés avec des cris de joie. H y a déjà quelques jours qu’ils sont sans armes, ayant dû déposer leurs lances à l’Arsenal en arrivant à Berbera. Le caractère irascible des Somalis, leur mépris de la vie humaine ont nécessité cette me- sure. Avant de partir nous faisons encore une dernière promenade dans la ville indigène où l’on rencontre des groupes, des physionomies qui feraient la joie d’un peintre. Nous nous contentons de les photographier, faute de mieux, puis nous allons visiter la Mission Catholique, où deux moines français, les Pères Evan- géliste et Cyprien élèvent une cinquantaine de petits moricauds dans la foi chrétienne, tâchant d’adoucir au- tant que possible l’àpreté de leurs ])enchants sauvages. A c()té de cette bonne œuvre, les Pères s’occu])ent d’écrire une grammaire et un dictionnaire somalis : travail très étendu et approfondi qui leur a coûté des années d’un labeur incessant, sous un soleil de plomb, loin de leur famille et de leur patrie. Ils ont aussi fondé nn dis|)ensaire où ils distribuent des médicaments gratuits à tous les malades de la ville. Enfin, le 22 octobre, les derniers préparatifs sont 2 IS — achevés; on coininence à charger les clianieaux, an mi- lieu de vocilérations furieuses qui nous brisent le tym- pan. A deux heures de ra])rès-midi la caravane se met en marche; Ti nterminahle hle des dromadaires, che- vaux, ânes, mulets, chèvres, moutons et hommes d’es- corte, commence à se dérouler à travers la plaine maritime, ap|)elée ici pays de Gouhan, du mot « Gouh » qui signilie ((chaleur» en somali; cela donne une idée de la température qu’il y fait, en comparaison d’une côte déjà rôtie par le soleil. Vers cinq heures nous ])renons congé de notre aima- ble hôte et, conduits par un de nos hommes, nous che- vauchons vers notre premier campement, à 12 kilomè- tres de la ville, au pied d’une petite colline dénudée. En route nous apercevons des gazelles et je tire un chacal. Soudain, le soleil plonge dans l’Océan et, ])res- que sans transition, la nuit succède au jour. Les mon- tagnes lointaines prennent des nuances roses et violet- tes— puis disparaissent. Cependant la clarté des étoiles est suffisante pour éclairer le sentier ; d’ailleurs voici dans le lointain des feux qui brillent..., palpitent..., c’est le campement. Notre arrivée est accueillie par des cris de joie. La table est servie, les cuisiniers se sont surpassés et d’excellents lits nous invitent à dormir, bercés par les frémissements des tentes, qu’agitent la brise de la mer et le vent du désert. CHAPITRE II EE GOURA N ET L OGO Traversée de la plaine inariliinc. — Description d’une journée de marche. — Composition de notre caravane. — Le campement du soir. — Chasse à la gazelle. — Arrivée sur les plateaux. — Let'eroug. — Chasse à l’onagre. — Les premières traces de lions. — Chasse à l’oryx. — Hargeïsa. — Le cheik Mattar. — Affût au lion. Impatients de faire connaissance avec le gibier afri- cain, nous nous levons à Taube et partons, mon jTère et moi chacun de notre côté à raventure à travers la cam- ])agne. De nombreuses gazelles (gazella Pelzelni) liassent et run et l’autre nous en marquons une à notre tableau. Beau défilé également de grosses outardes, de cane- petières, de jTcrdrix jaunes, de lièvres d’une es])èce très petite, et de dik-diks, jolie sorte d’antilope très commune au j)ays somali : elle a l’élégance de formes du chevreuil, tout en atteignant à peine la taille d’un lajTin. Rentrés au cam|Tement vers onze heures, nous y faisons, à déjeuner, la désagréable connaissance de l’eau Somalie, chaude et d’un goût affreux. Plus tard. — 20 — instruits par rexpéricnce, nous saui'ons la rendre pota- ble par rél)nllition et fi aîelie j)ar l’évaporation nocturne sons le vent, llenferniée dans des récipients entourés de feutre mouillé et j)laeés à l’ombre d’une couverture sur le dos d’un chameau, elle restera froide jusqu’au soir. A deux heures, étouffant sous les tentes dont la double paroi ne suffit plus à nous préserver des ardeurs du soleil, nous donnons le signal du départ, au moins pour changer notre façon de rôtir. A notre grande surpi*ise, la chaleur nous est bien plus facile à supporter en marchant, qu’en restant immobiles derrière une toile. Le soir nous campons au pied d’une rangée de collines qui annonce la lin de la plaine maritime. (iomme les journées de marche ont beaucoup d’ana- logie les unes avec les autres, j’en donnerai ici une fois pour toutes le j^rogramme habituel : Avant raul)e, quand leeam|)ement n’est encore éclairé cpie par les étoiles et les feux à demi-éteints, un appel bref retentit : c’est le mollah qui eonvoc[ue les fidèles à la prière. 11 lit des passages du Coran. De tem|)s en temps il s’interrom|)t et tous alors se prosternent en chantant d’une voix grave le mot ((Amin.» Il est |)rudent d'ètre déjà vêtu à la lin de la prière ; (*ar dans l’enthousiasme, la fièvre du départ, toute l’escorte se précipite sur nous pour nous aider à nous habiller, |)lier les lits et les tentes, nous oflrir le (*afé et les biscuits et nous mettre (‘Il selle. Ils ont les meilleures intentions mais leurs mouvements, sans doute excellents pour les (diameaux, sont bien brusques pour des êtres humains. Le brave figgeh, l’interprète, se rend utile de mille façons, surveille remballage des effets, et indique aux gens chargés de nous accompagner à la chasse, l’endroit où nous devrons rejoindre la caravane à l’heure du déjeuner. Bien qu’un désordre général ])a- raisse régner, nous ne tardons ])as à reconnaître que nos hommes sont des chameliers habiles, qui ont ])assé leur vie à établir et à lever des campements. Kn un clin d’œil les tentes sont renversées, les chameaux chargés, et la caravane ])art. Elle est composée de 53 hommes engagés à Berbera et de quelques guides, que nous prenons j)our traverser le territoire de la tribu à la- quelle ils a])partiennent. Les gens d’escorte sont armés de carabines Suider, nos domestiques Jama et Ismaïl de revolvers ; enfin nos quatre « shikaris )) et les deux (( seïs » de nos fusils de chasse. Les bagages sont trans- ]:)ortés par soixante-dix chameaux somalis, et les ma- lades, qui ne manquent jamais, par deux chameaux arabes trotteurs, amenés d’Aden. — Nous avons encore 4 chevaux somalis très laids, mais endurants, deux jolis mulets abyssins qui nous rendent d’innappréciables ser- vices, trois ânes mélancoliques, condamnés à mort (ils sont destinés à servir d’appât aux lions), enfin un troupeau de chèvres et de moutons qu’on renouvelle en route par achats dans les villages indigènes. — Gela forme une véritable et pittoresque armée d’hommes et de bêtes, qui défile en interminable jirocession. Durant la marche, mon père chasse à un ou deux kilomètres à droite de la caravane, sans troj) rester loin d’elle, en arrière, de façon à pouvoir sans jieine la rejoindre, lors de la halte de midi. De mon côté je marche de la même manière, à gauche de la file des 22 chameaux, suivi de mes deux sliikaris Douali et IIus- seïii, et du seïsqui mène mon cheval. Ces trois liommes forment mon escorte liahituelle et ])ortent les fusils dont je me sers crhal)itude : une grosse carabine Ihira- dox à deux cou])s, (*alihre 10, pour les j)achydermes, tirant une halle d’acier envelop])ée dans du plomb, capable de traverser un rhinocéros; une carabine-ex- press à deux cou]:)s d’un diamètre de tirant des balles expansives : c’est la meilleure arme ])our les lions et les antilopes ; enfin un Lee-Metford de petit calibre pour le tir à très grande distance. Toutes ces armes proviennent de chez Holland & Holland, de Londres, et je crois qu’on ne peut trouver mieux qu elles, pour des expéditions comme la nôtre. Les sliikaris portent en outre une provision de cartouches et le seïs une gourde avec de l’eau ou du thé. Le matin, au départ, il fait encore froid ; dans les en- droits très élevés comme le Haud et la prairie de Marar on a même très sérieusement l’onglée. Mais bientôt le soleil apjiaraît et jiendant une heure ou deux la tempé- rature est normale. La chaleur commence ensuite ; elle augmente, on transpire à grosses gouttes, la provision d’eau est bue d’un trait, le besoin de repos et d’ombre se fait de jiliis en plus sentir. Voici qu’à un tournant du sentier a|)j)araît un bouquet d’arbres ; la caravane y a fait halte et le déjeuner nous attend. Les serviteurs ont placé nos lits de camp là où l’ondire est la plus éjiaisse et nous y faisons notre sieste jusqu’à 2 heures. Les gens préparent leur riz en commun, mangent leur ration de dattes et de beurre clarihé, puis s’étendent sous les buissons et dorment (*omme des loirs. Ouelques rares dévots font la prière de midi. — Pour ee qui nous regarde, nous nous reposons sans dormir; car dès que nous fermons les yeux, les moustiques, les fourmis, les taons, les guêpes, les araignées et surtout les odieuses mouches arrivent eu l)ataillou serré pour mettre notre patience à Tépreuve. — Pufiu il est deux heures, les chameaux f[ui broutaient dans les environs sont ramenés au centre du cam|)emeut, s’agenouillent et reçoivent leur charge. La caravane se remet en marche et nous recommençons à chasser comme le matin, mon père à droite et moi à gauche du sentier. A cinq heures on s’arrête; les chameaux vont brouter sous la garde de quelques hommes, tandis que le gros de l’escorte fortifie le camp en établissant tout autour nue (( zérilia, » palissade construite avec la terrible épine « attends-un-peu » qui ne lâche pas ce qu elle tient. Quand le soleil s’est couché, les gens font la jirière du soir et lorsque nous rentrons à la tombée de la nuit, nous trouvons les chameaux à domicile, age- nouillés en cercle, autour des tentes à l’intérieur de la palissade. Les bagages entourent les deux tentes et forment un second retranchement contre lequel nos gens s’adossent pour dormir. Dans l’espace vide laissé entre la tente de mon |)ère et la mienne on dresse la table qui sert à nos repas, à la rédaction de notre jour- nal, à l’établissement de la (*arte élémentaire des régions parcourues, etc. : c’est dire qu’elle a bien fait son service. La fraîcheur du soir est un véritable bienfait et sou- vent nous nous promenons de longues heures, devant le campement avant d’aller nous coucher. Deux senti- iu‘llcs([ui nous suivent, le fusil sous le l)i*as, à trois |)as (le (listaiH*e poiii* nous einpc'eliei* d’êtia' eroquc's par dc's lions ou niassaerés |)ardes indigèiK's eidèvcnit un peu de son charme à cette promenade au clair de lune. iMifin, revenus, nous dormons à ])oings fermt's ; mais voilà (pi’une clameur é])ouvantal)le i*etentit. C’est une des sentinelles préposées à la garde du camp ([ui s’est fait attraperai! moment où elle averbes an- tilopes de la taille d’un jeune bœuf, avec de longues cornes droites et pointues; nous rencontrons aussi des coudous de la petite espèce, au pelage zébré, aux cor- nes en spirale. A dîner on nous sert un rôti de perdrix francolins, tendres comme des cailles. Le ihJ, après une marche de toute la journée, se dé- coupent enfin sur le ciel rougi par le coucher du soleil, les deux collines qui dominent lïargeïsa. l^]lles sont a|)pelées Nasa-llablod, les «seins de la vierge. » MON PREMIER ELEPHANT Le)U octol)re, en escaladant le sommet d’une hau- teur, je me trouve inopinément à quelques pas d’une !)ande de trente à quarante oryx ; je réussis à blesser grièvement un vieux mâle. Je le |)oursuis quatre heu- res par monts et par vaux sans que mes shikaris per- dent un instant sa trace. Douali et llousseïn ont réelle- ment en pareille occurence un instinct de chien. A midi je j)arviens à retrouver la hète et à lui donner le coup de grâce. J’en fais enlever tous les bons mor- ceaux que l’on charge sur un cheval ; le rebut est ga- lamment abandonné à quelques jeunes beautés soma- lies, accourues au bruit des coups de fusil. A trois heures, llargeïsa nous reçoit dans ses murs; la caravane y est déjà installée, dans le bungalow construit par Lord Delamere et destiné à servir d’abri aux chasseurs euro])éens qui atteignent ce point. — Vers cinq heures nous recevons la visite du chef de llargeïsa, le cheik Mattar, un des gros bonnets reli- gieux et politiques les ])lus respectés du ])ays ; une belle barbe blanche, l’air bon enfant, une robe noire brodée d’or, et un turban de soie blanche, à l’arabe. L’interprète nous traduit ses compliments de bienve- nue et nous lui faisons remettre quelques roupies qui le font j)artir radieux. Dans la soirée nous lui rendons sa visite : après avoir traversé le village qui est un ramassis de huttes assez misérables où toute une po- pnlation d’infirmes et d’indigents vit sous la protection du |)uissant cheik, nous arrivons à la maison de ce- lui-ci, sorte de masure en chaume, avec deux chambres très proprement tenues. Il nous offre une tasse de lait frais; nous lui remettons des lettres pour qu’il les fasse 3 |)arvciiir à la côte et prenons congé de lui en loit bons teianes. Il s’agit maintenant de savoii* quelle direction nous allons suivre. Juscju’ici tout a marché comme sur des roulettes, mais doi'énavant sortant de la véritable sphère d’inlluence anglaise, nous allons |)énétrer au milieu de tribus turbulentes, ennemies les unes des autres et avides de |)illage. Il ne faudra |)lus comj)ter que sur nous-mêmes pour nous protéger. De l’avis général, c’est à la frontière abyssine, qn’il y a le j)lus de gibier; car les chasseurs euro|)éens n’osent ]:)as s’y aventurer, par crainte d’y rencontrer les trou- ])es de Ménélik, braves, bien armées et la plnpart du temps mal disj)Osées j)our les blancs. — Des gens venus du Ilarar, nous racontent que les Abyssins ont évacué leurs postes avancés et reporté toutes leurs troupes du côté nord, où la guerre vient d’éclater avec l’Italie. Le risque de rencontrer des bandes abyssines devenant j)roblématique, nous décidons de pousser une pointe au Nord-Ouest et de marcher ensuite vers le ^^"ébi en longeant la frontière sud de l’Abyssinie et celle des lAinia-Gallas, tributaires de Ménélik. Le D'' novembre, sous un groupe de grands arbres appelés (( goub )) j)ar les indigènes, dont le fruit de la taille et de rasj)ect d’une pomme d’api est excellent, nous campons à Ilaraf. Entre llargeïsa et Ilarat, j’avais failli commettre une bévue humiliante pour mon amour-propre de chasseui*. J’avais i-enconti’é une trou|)e d’autruches, je les avais mis en joue et j’allais juste- ment abattre un beau mâle ([uand Douali m’arracha le lusil'des mains. Le croyant fou, je me mis à lutler cou- trc lui |)Our lui reprendre l’arme. Au bout d’un instant, il réussit à me faire comprendre que j’avais affaire à des autruches aj)privoisées, dont les jambes étaient entravées, ce qui m’exj)liquait la facilité avec bufiielle je les avais eues à portée de fusil. J’avais peine à en croire mes yeux, quand je vis sortir du bois deux petits bergers somalis qui gardaient cette gigantesque volaille. Cette méprise est déjà arrivée à un officier anglais, qui a du rembourser la valeur de l’animal tué à son j)ropriétaire ; j’ai eu la chance de m’en tirer à meilleur compte. Un peu avant Maraf je tue un renard de petite taille, dit « fenek, )) doué d’énormes oreilles noires. En arrivant à Ilaraf, je trouve nos gens en train de construire deux j)etites zéribas (abris enclos d’éj)ines), où nous devons passer la nuit à l’affût des lions. On a trouvé des traces fraîches sur le sable : deux lions ont sauté la nuit dernière dans un village voisin et y ont dévoré un mouton. Nous passons toute la nuit à l’affût, chacun ayant devant sa zériba, un àne vivant, attaché, qui sert d’appàt. Mais rien ne vient, excepté des hyè- nes qui rôdent au clair de lune avec des allures de spectres en poussant des gloussements sinistres. L’abri est étroit; on y coudoie les deux shikaris qui se sont parfumés la chevelure avec du beurre en décom- position : ce n’est pas très agréable. Mon père n’a rien vu non plus et nous rentrons au camj), au point du jour, assez dégoûtés de l’affût noc- turne. CHAPITRE III LA FRONTIÈRE D’ABYSSINIE Une mauvaise plaisanterie. — Un orage sous les tropiques. — Position critique de mou ])ère. — Ma première lionne. — Rousbali. — Traces d’éléphants. — Fausses nouvelles de panthères et de lions. — Mon père et ses gens s’égarent dans la forêt. — La prairie du Marar. — Abondance de gibier. — Poursuite d’une antilope blessée. — Jig-Jiga. — Rencontre avec les Abyssins. 2 iiovemltre. — Battue autour du camj)... massacre de perdrix; pendant que nous les dégustons tranquil- lement à déjeuner, sous un grand arbre, un guerrier somali s’a])]Troclie de nous sans être remarqué et brandit sa lance dans notre direction. — Nous lui tournions le dos et la plaisanterie aurait ])u devenir tragique si deux de nos sentinelles n’avaient à Tinstant saisi, désarmé, rossé et ignominieusement ex|)ulsé cet individu à l ame aussi noire que sa peau. Quelques indigènes viennent nous avertir qu’ils ont vu un léopard entrer dans un bois du voisinage ; nous y courons aussitôt ; pour faire déguerpir la bête, on incendie toute la foret ([ui flambe comme un fagot de - :iH — bois résineux. Le feu (Lartifiee est très beau, mais du léopard pas de ti aee. A deux lieures reprise de notre uiarclie vers LAbys- sinie. Je tiens la tète de la earavane ([ui (diemine dans un (( wadi » desséché, me contentant d’occire quelquefois un faisan ou un franeolin. Mon père seml)le s’éloigner de plus en plus... les détonations de ses coups de fusil s’affaiblissent. . . cessent. .. Mais voici que de gros nuages noirs commencent à rouler dans le ciel, nous procurant une ombre très agréable; un vent froid s’élève, venant du Nord. La marche, dans ces conditions, devient un vrai plaisir ; mais nous n’allons ])as tarder à regretter le soleil et la chaleur : à quatre heures, une de ces j)luies diluvien- nes dont l’Afrique Equatoriale a le secret, se met à nous arroser par ])otées, transformant la ])laine en lac, les ravins en rivières. La vallée où marchait la cara- vane est maintenant un lleuve mugissant. Pour évi- ter d’être balayés par l’eau, nous sommes forcés de monter sur les j)lateaux et d’y camj)er. Le froid et l’eau glacée rendent nos hommes tout à fait inertes et idiots. Ils invoquent Allah, Mahomet, le diable, et jurent ([ue c’est la fin du monde. Les bonnes paroles, les menaces, les injures, j éj^uise tous les moyens d’ac- tion j)our les faire bouger; c’est à coup de bottes que je suis obligé de les faire sortii* de dessous les arbres, où ils ont cherché un très illusoire abri. Prohtant d’un moment d’accalmie, je parviens à leur faire rassembler les bagages é])ars dans la boue, dresser les tentes et allumer les feux sur les(piels on verse sans interru])- — :v.) tion du pétrole |)Our les eni])êelîer de s’éteindre. Je suis très iiu[uiet pour mou père. Il ne sait |)as où nous eamj)ous et puis, comment traversera-t-il l’eau qu’on entend mugir comme un Niagara? Je fais tirer de tem|)s en temps des coups de fusil afin de lui faire connaître remplacement du camj). Enfin vers neuf heures du soir, tandis f[ue j’étais dans les transes, il arrive avec ses shikaris et son seïs ; il est accueilli avec des cris de joie, poussés j)ar tout le monde. Après avoir tué un bel oryx beïsa, il a failli se noyer. Sé|)aré de nous par un torrent, il s’est jeté à la nage en tenant par la bride son cheval chargé de l’oryx. Les shikaris qui avaient d’abord refusé de passer, ont eu honte de l’abandonner et l’ont suivi. Une telle pluie, arrivée à l’improviste, ]:)roduit un vrai désastre, bien des choses nécessaires, qu’on n’a pas eu le temps de mettre à l’abri, sont détériorées; toute la nuit nos gens dansent et trépignent autour des feux pour se réchauffer. Nous consacrons la mati- née suivante au séchage et à l’étalage des effets. Grâce à rap])arition du soleil, le mal est assez vite ré|)aré. A midi le ciel se couvre de nouveau ; nous nous remet- tons en route afin d’atteindre au j^liis vite Rousbali, où nous devons camper. Comme je m’étais écarté vers la gauche à la |)oursuite d’une bande d’oryx, dont je n’avais pas tardé à perdre les traces, j’étais sur le ])oint de remonter à cheval quand mon seïs, Aden, se met à gesticuler comme un fou en répétant plusieurs fois de suite le mot: « Libah ! Libah ! » (Le lion! le lion !). Il prétend avoir entendu un lion grogner sour- dement dans un fourré, à quelques |)as de nous. Les silikai is sont persuadés rpie le honliomine a révé et le lui (lisent sans péri j)hj‘ases ; niais Aden jure sur e(‘ cpéil a de jiliis sacré (ju’il ne s’est jias trompé. La diseussi(jn est interia^nijiiie jiar le grondement earae- téristicpie du lion affamé, que j’avais déjà souvent en- tendu dans les ménageries, mais qui, dans une forêt de rOgo, me jiaraît bien plus impressionnant. Je jette un bref coup d’œil sur mes hommes; ils ne montrent aucune émoticjn et me regardent en silence, se demandant sans doute si je ferai bonne figure devant le danger. Douali me tend sans mot dire l’express, et après avoir constaté que les deux cartouches à balles expan- sives sont dans le canon, je me dirige à jias de loup vers le taillis où le lion s’est fait entendre. Le taillis est vide, le lion a eu vent de nous et s’est éloi- gné, sans se presser d’ailleurs à en juger d’a])rès la trace. Bientcit le sol deAuent très dur, et je ne sais i^lus distinguer les empreintes. Tel n’est j)as haAns de mes shikaris, qui suiAœait avec facilité une piste invisible à mes yeux inex|)érimentés. Je marche aAec eux, con- vaincu au fond qu’ils se moquent de moi, qu’ils s’éloi- gnent au plus vite du lion. Douali, comprenant ma pensée, me montre un brin d’herbe froissé et une |)etite pierre déplacée, pour me prouver que nous sommes dans la bonne A'oie. Le seïs est resté un peu en arrière pour (jue le cbeA^al u’aAertisse pas le lion par ses hen- nissements. A un moment donné, Aoyant Douali s’arrêter, je me tiens pi'èt à tiiœr mais ce n’est (ju’une fausse alerte. C’est llouss('ïn le second sliikari, ([ui n’a |)as su retenir LA PllEMIÈHE PANTHEUE S' L c < \ ■'A ^ - V i '*. s* H • . ,% •V*. «. 1 un accès de toux, une bonne gifle de Donali vient pu- nir son forfait. Nous pénétrons alors dans un é|)ais fourré d’acacias, que nous traversons sans nous arrêter, laissant par-ci par-là des morceaux de nos vêtements accrochés aux branches. A l’instant on nous en sortons, Donali me saisit le bras et me dit à l’oreille « A big one » c’est- à-dire (( Une grosse bête ! » J’ai beau écarquiller les yeux je ne vois rien dans la direction que Donali m’in- dif[ue. Les shikaris frémissent d’impatience, s’agitent et me font voir une lionne accroupie à une trentaine de pas ; je l’avais confondue avec une touffe d’herbe jaune. Elle se lève et détale comme une flèche. Je tire au moment où elle dis|)araît entre les branches. La j)oursuite est reprise sans grand espoir; mais voici qu’une goutte de sang trouvée sur une feuille piorte nous rend confiants dans le succès final. Ilousseïn siffle ; nous nous arrêtons : il nous ex])lique qu’il a vu la lionne bondir entre deux buissons. Nous y courons et fouillons l’un des deux sans y rien trouver. Au mo- ment où je vais pénétrer dans l’autre, Donali, majiro- vidence, m’arrête. Il a vu la lionne dans le buisson, rampant de notre côté. Moi, je ne l’aperçois qu’à sa sortie; arrivant rapidement sur nous, sans bondir, tou- tefois d’un trot accéléré. Quand elle n’est ])lus qn à ([uinze pas, elle se ramasse sur elle-même jiour s’élan- cer, mais, à ce moment-là, je tire. Elle s’affaisse un |)eu, et reste immobile, avec l’air de me regarder fixe- ment, sa grosse tête fauve appuyée sur ses ])attes de devant. Je tire encore, mais elle ne bouge pas; je reconnais que ma première balle l’a foudroyée, Mes sliikaris poussent des cris de triomphe, lui jettent des pierres et l’uii deux va fiiialemeut lui tirer la ([ueue pour s’assurer c[u’elle est bien inoi*te. Alors ils enton- nent le ehant trioniplial que les Somalis ont rusage de hurler après le meurtre d’un lion; et je ne j)uis m’empèelier de clianter et de danser comme eux. En examinant la lionne de près, je trouve une légère érallure à l une de ses pattes de derrière, ee qui expli- que la goutte de sang trouvée sur la trace. Toutefois il m’a été im|)ossil)le de constater si la blessure était due à une balle ou à une épine. J^a balle mortelle a rasé le menton et traversé le sternum. L’exj^ansion a eu lieu en pleine |)oitrine et des éclats ont atteint le cœur. La bête est énorme, nous promettant une ma- gnifique dépouille; elle est très grasse, comme tous les lions nourris de bétail et d’indigènes: (cette vieille mégère avait très mauvaise réputation dans les villages avoisinants). Au contraire les lions qui vivent de gibier sont très maigres, car ils ne réussissent j^as tous les jours à abattre une antilope ou une gazelle. C’est à grand-peine que nous arrivons à retourner la lourde masse de son corps, et à la dépouiller; cela fait, nous espérons rentrer tranquillement au cam|) ])our nous rej^oser ; mais nous avons compté sans notre cheval : quand le seïs veut charger la peau sur celui-ci, il se cabre et décoche au malheureux une ruade qui l’étale de tout son long sur le sol. Ce n’est qu’après lui avoir entravé les ([uatre pieds, et bandé les yeux, que nous parvenons à lui faire porter son faideau. Il pleuvait depuis une bonne heui*e, mais l’émotion de cette chasse m’avait empêché de remarquer que j’étais trempé. Une eau glacée nous perce de ses goutelettes hues pendant les deux heures que dure notre retour ; l’arro- sage cesse juste au moment où de longs cous de cha- meaux surgissant au-dessus des mimosas, nous annon- (*ent le voisinage du cam])ement, à Houshali. Le chant de victoire de mes gens a déjà donné l’éveil. J’entre dans la zériba, presque porté en triomphe, au milieu de nos soixante hommes qui poussent des acclamations frénéti([ues. Toute la soirée l’escorte danse et chante avec entrain, car la mort d’un lion représente ])our eux une hécatombe de montons (offerts par nous), une vaste orgie, et une somme considérable de hackschich. . . Nous décidons de rester un jour à Rousbali, qui a l’air décidément très giboyeux. Mon père a vu des koudous de la |)etite es|)èce et des traces d’élé|)hants. . . Il pleut toute la nuit, mais nous sommes à l’abri, de belle humeur. Le 4 novembre, nous allons chasser dans des direc- tions opposées. A une heure du campement, je tue un oryx male, propriétaire de cornes magnifiques. Je le fais transporter aussitôt à dos de chameau à notre domicile provisoire ; il est gros comme un hœnf, mais nos insatiables Somalis n’en font ([u’une honchée. Je continue mes investigations ; au bout d’un instant, je tombe sur un joli tableau de genre : au milieu d’une clairièi*e, deux autruches males sont en train de se battre, une femelle les regarde d’un air philoso|)he, attendant l’issne du combat engagé en son honneur. Les deux cham])ions ont des allures de coqs de combat et laissent traîner jusqu’à terre les longues plumes hlanehes de leurs ailes. La distance est bien de quatre cents |)as, mais il n’y a |)as moyen de s’aj)|)rocher davantage. Je tire... manque, et les autruches dispa- raissent dans un nuage de j)oussière. Très vexé de ma maladresse, je commence à suivre leurs traces, quand j’entends devant moi un bruit de j)lus en j:)lus fort assez semblable à celui que j)roduit une charge de cavalerie. Une cinquantaine d’oryx passent deA ant nous au grand galoj) : trois j:)etites autruches femelles les suivent. Je tire deux fois dans le tas; un oryx tombe, et je rentre au camp avec la tête et la chair de la bête. Je tue encore dans la même journée un oryx, après avoir raté un ])hacocère ; mais je n’en ]:> rends que les cornes et la peau, par crainte de Aoir nos gens se donner, grâce à ce nouvel apj)oint de viande, les formidables indiges- tions dont ils sont coutumiers. De retour au camp j’y trouve mon père très ennuyé de la guigne inouïe c[ui j)Oursuit son habileté de chasseur depuis deux jours. Le b novembre, ]>oursuite de lions hypothéti([ues, ci’éés de toutes j)ièces par res])rit de nos gens. Nous déjeunons au pied de la colline de Doubourro. En route j’aj)provisionne le garde-manger d’un dik-dik réclamé j)ar le cuisinier. Le soir campement à Idjara. Mon père y arrive rompu, a[)rés la longue recherche d’une pan- tére imaginaire, qui n’avait aussi existé (jiie dans la cervelle de bergers indigènes avides de backschich. Le ciel s’est enfin éclairci, à notre grande joie; (*ar les pluies nous ont l)ien tourmentés ces derniei’s jours. Ku (piittant Idjai’a je trouve les tra(*es fraîches d’un ti’ou- peau de plus de cent éléphants. Là où a passé cette — 47 avalanche de |)achydermes lui profond ravin s’est creusé. Ils ont piétiné et ])royé les arbres ([ui se sont trouvés sur leur chemin. De tous côtés, hou voit des aloès déracinés, car les jeunes ])ousses de cette plante constituent le mets favori de réléphant ; ce sont les asperges de ces Messieurs. De gros tas de fumier ré|)an- dent une odeur pénétrante de vacherie à travers la forêt. Eh certains endroits, j)ris d’humeur folichonne, les bons géants se sont roidés sur le dos, et le sol comprimé a fidèlement reproduit leurs contours. On j)eut se figurer mon émotion de chasseur à l’idée de rencontrer le ])lus gros gibier de la terre ; malheu- reusement aj)rès deux heures de ])onrsuite nous décou- vrons que nos éléj)hants sont tombés sur une troiq)e de Somalis-Midgans, f[ui les ont salués d’une volée de flèches empoisonnées, sans autre résultat que de les mettre en fuite. Je voudrais bien continuer la chasse, mais mes shikaris me disent ([ue ce serait folie; les |)acliydermes en effet, suivant leurs dires, ne s’arrête- ront pas avant quelques jours, dans des endroits oii j)lusieurs semaines seraient nécessaires pour les re- joindre. Profondément découragé, je jette un regard de regret du côté oii les éléphants ont disparu et sans même adresser la parole aux Midgans, auteurs de tout le mal, je rattraj)e la caravane à Oudjiwadji, non loin de la prairie du Marar ; on appelle ainsi la partie se])- tentrionale du désert de Ilaud qui sépare l’Ogo de rOgaden. A deux heures nous c[uittons Oudjiwadji pour camj)er le soir à Afga-Mattan, au bord de la Prairie. La vue est remarquablement belle en cet endroit : à quelques centaines de pas du camp la forêt cesse tout (l’un cou|) et fait place à une étendue illimitée criierhe jaune s’élevant par échelons successifs vers le Nord. Une série de cônes isolés tranchent nettement sur le ciel pâle : ce sont les collines de Sou hou r. A rOeeident aj)paraît, déeouj)ée avec une |)ureté étonnante de lignes et de teintes, la silhouette bleue des montagnes du llarar, qui font partie des Al])es IAhio|)iennes. Derrière nous un océan de verdure sans point de repère : c’est la grande forêt que nous tra- versons dej)uis Houshali. En quittant Oudjiwadji, mon ])ère, sur la foi d’une députation de Somalis, est j)arti à la recherche de lions ([ui seraient entrés dans un fourré ; je n’ai ])as tardé à le perdre de vue. Tandis qu’on construit la zériba à Afga-Mattan, je reste assis sur une caisse de munition, regardant avec une anxiété toujours ])lus vive le soleil baisser à l’horizon. La nuit vient, noire, é|)aisse : mon père continue à ne ])as donner signe de vie. Est-il égaré seulement : ou bien lui est-il arrivé un accident à la chasse au loin ; tout est possil)le, |)ar malheur Je fais allumer quelques arbustes résineux ; une im- mense colonne de flammes monte en tourbillonnant, pour indiquer notre présence. Je fais tirer des couj)s de feu tous les quarts d’heure. Mais la nuit se passe et mon père ne revient ])as. Une averse éteint les feux et nous trempe jusqu’aux os; si mon père s’est perdu dans les bois, il ne doit guère être à son aise. Dès que le jour me permet de voir à deux ])as devant moi, je pars avec f(ueh|ues hommes, à l’aventure, dans la forêt. Nous débouchons sur un village de Midgans ; ceux-(*i nous disent avoir reiu'onti'é mon père, ([ui, ne LA VALLEE DU DAGHATO — 49 — pouvant nous découvrir et inquiet de son côté, a décidé de ])asser la nuit dehors. Après des heures d’inutile recherche, il nous semble qu’une faible détonation a réj)ondu à nos salves continuelles. Nous nous précij:)i- tons dans la direction du bruit, et finissons par aper- cevoir mon père et ses shikaris qui poussent de folles acclamations à notre vue. Naturellement mon j)ère n’a ])as trouvé trace des lions annoncés la veille par des farceurs indigènes ; il a passé la nuit à la belle étoile et subi la pluie, avec la selle de son cheval pour toute couverture; jiar bonheur, il est en jiarfaite santé; il a même bonne mine. Arrivé au camp, je me sens pris de vertiges et de douleurs de tète ; une forte fièvre m’étend sur mon lit; une angine ne tarde pas à se déclarer. Dans la soirée mon père va chasser; il tue un bubale ou hartebeest (Bubalis Swaynei), antilope d’une jolie couleur marron foncé, avec de grosses cornes courtes et recourbées ; elle a la taille et les allures d’un bœuf. La nuit est mauvaise pour moi : mais vers le matin je me sens mieux. A deux heures il faut partir ; pour comble d’agrément la provision d’eau menace de s’éj)uiser : il n’y a j)as de citernes en cet endroit et nous ne devons guère nous attendre à en trouver avant Jig- Jiga, à l’autre extrémité de la prairie du Marar. On me hisse sur mon mulet et nous nous remettons en route vers l’Ouest. — La vue du gibier me rend des forces ; sans mettre pied à terre je tue un oryx et une heure après un hartebeest. Nous marchons jusqu’au soir|)armi de hautes herbes qui ])rennent toutes les teintes de l’or au brun foncé. Nous campons le soir à Ghel-Makaris où — 50 — mon j)ère arrive assez tard ; il a rencontré d’immen- ses troupeaux d’antilopes, qui lui ont |)ermis de tirer quelques beaux coups de fusil. Entr’autre il a tué une oazelle Sœmmeringi à |)lus de 000 j)as avec une cara- bine Mannliclier. JjC 0 novembre nous trouve toujours en train de traverser la prairie du Marar, qui, ])our quelques heures, se tranforme en foret. Les traces de cinq lions sont visibles, et plus tard celle d’un sixième, énorme celui- là. A la halte de midi Eggeh m’avertit que dans une grande clairière tout près de nous, paissent des aouls (gazella Sœmmeringi) en quantités innombrables. Ey cours aussitôt et j’ai la joie de voir un troupeau de mille à deux mille aouls qui broutent tranquillement. Je tire de loin dans un groupe com])act et j’abats une femelle. Ne me souciant pas de renouveler un si ]:>iètre exj)loit je me ])récipite verslesgazelles et, me dissimulant de mon mieux après chaque coup de carabine, je ])ar- viens à tuer quatre superbes males avant que le trou- ])eau ne se décide à prendre la fuite. Rentré au cam|), j’envoie chercher les aouls, ])uis, voyant un animal de forme bizarre se promener non loin de moi, je monte à cheval, mon revoh er au poing et jegaloj)e vers la bète ; arrivé à cinquante pas d’elle, je remarque qu’elle ne détale ])as, mais fait, au contraire, mine de se rappro- cher ; je commence à croire cpie j’ai affaire à une lionne et l’idée de l’affronter, armé d’un sim|)le revolver, monté sur un méchant poney somali, me fait passer un ])etit frisson dans le dos. Je tourne bride |)our aller j)rendre au (*amp ma (*arabine ; mais tout à couj) recon- naissant qu’il ne s’agit ([ue (rime hyène, je reviens sur — 51 — elle, lui loge une halle dans le ventre et la suis jusque dans un taillis où je la perd au moment où elle allait être forcée ; elle y sera sûrement mangée ce soir par ses frères et sœurs. Mon père rentre au camp en même tem])s que moi ; toute la matinée il a été sur les traces d’un grand lion, sans ])arvenir à l’atteindre. La marche de l’après-midi est contrariée par une averse qui trans- forme en un clin d’œil la contrée en marécage ; nous sommes obligés de camper en toute hâte au pied de la colline de Souhour-Odli, dans une forêt d’arhres épineux de toute beauté : les indigènes les appellent « ouadi ; » ils ont la forme de gigantes(jues parasols. Armés d’éj)ines longues de dix centimètres, ils produisent une sorte de gomme aj)préciée par les Somalis, et que souvent j’ai été bien content de trouver ; car elle a la pro|)riété de calmer la soif |)our un instant. De Souhour-Odli nous continuons notre marche sur Jig-Jiga, à travers la prairie sans fin, cheminant ])armi les herbes qui, en certains endroits, nous arrivent aux é|)aules. Dans ces plaines |)assent, j)ar milliers de têtes, des trouj:)eaux d’harteheests, d’aouls, d’oryx, ainsi que quel- ques timides autruches se hâtant de disparaître à l’ho- rizon. Tout autour de leurs escadrons on voit se prome- ner gravement les vieux mâles d’harteheest. Ils se livrent entre eux à des combats acharnés ; j’en ai observé j)lusieurs. Cette espèce d’antilopes est l’une des ])lus faciles à aj)procher. — Je mets cette particularité à j:>ro- ht et j’en abats trois. J^’une d’elles, seulement blessée, se met â fuir grande vitesse ; je |)rends la lance du guide et galope a|)rès elle. Je la rejoins, lui plante la lance — :y2 — (Mitre les c()tes et la tue sur le eouj) ; mais la lance se brise, men cheval se cabre et je m’en vais rouler à dix j)as de là. Je tue encore une de ces outardes géantes ([ui pullulent dans le Marar. Le 11 novembre, à midi, nous atteignons Jig-Jiga où nous campons à un de mi -kilo mètre du fort abyssin. Ce fort est construit au centre du pays des Bertiri, Somalis tributaires du Ras Makonnen, gouverneur du llarar. L’ouvrage est composé d’une forte palissade en bran- ches entrelacées et d’un jietit remblai de terre, à l’inté- rieur de celle-ci. C’est un très bon abri contre un ennemi armé de lances et de llèches, mais il ne saurait naturel- lement offrir de protection contre les armes à feu. La garnison comprend une quinzaine d’hommes com- mandés ])ar un shoum (sorte de sous-lieutenant). Les Bertiri qui entourent notre camp en grand nombre, nous annoncent que les Abyssins conijitent fortifier Jig-Jiga et y |)lacer une puissante garnison ; la position est en effet d’une haute importance stratégique, elle commande la jiasse de Marda, à une journée de marche seulement de llarar. A notre départ de la côte nous avions ajipris que Ménélik avait déclaré la guerre à l’Italie. On nous avait bien recommandé d’éviter les Abyssins, plus mal disposés que jamais pour les Européens ; ils se défient en ce moment de ceux qui leur ont témoigné la plus constante sympathie, ceux-là même s’étant toujours mêlés de ce (jui ne les regaixlait pas. D’après les renseignements des indigènes de l’Ogo, nous avions cru ([ue les Abyssins, |)our concentrer leurs ti oupes sur le théâtre de la lutte, avaient évacué leurs postes avancés du Sud. Nous ue nous attendions pas à trouver une garnison à Jig-Jiga, où nous devions absolu ment |)asser pour renouveler la j)rovision d’eau déjà épuisée. D’où, surjirise. Dès que la caravane s’arrête, des centaines de Ber- tiris nous entourent, assez misérables d’aspect et plus laids que les Somalis vus jusqu’ici. Nous a])j)renons de leur bouche que les Abyssins nous ont j)ris pour l’avant-garde d’une armée anglaise en marche contre eux, qu’ils ont envoyé un courrier à Harar, abandonné leur fort et se sont retirés sur les hauteurs à l’entrée de la j)asse de Marda. Dans l’après-midi on nous annonce la visite de l’offi- cier abyssin. Nous le recevons à l’entrée de la zériba; il nous souhaite très aimablement la bienvenue en échangeant avec nous des ])oignées de main. C’est un bel homme, l’air martial, les traits réguliers; il porte une courte moustache. 11 est coiffé d’un turban rouge et revêtu d’un uniforme en dra|) de kaki jaune; il a un revolver à la ceinture, un sabre au côté ; il parle arabe et grâce à Eggeh nous |)arvenons à nous enten- dre. J’ai pris note de la conversation que nous eûmes; je peux la rendre ici textuellement : (( Nous. — Avez-vous des nouvelles de la gruerre ? O (( U officier abyssin. — Je n’en ai pas reçu. (( N . — Des Somalis nous ont annoncé l’assassinat de Ménélik; est-ce vrai? c( L'off. — C’est faux ; c’est encore un de leurs men- songes habituels. (( N. — Bas Makonnen est-il à Harar? (( L'off. — 11 est parti pour ])rendre |)art à la guerre. (( N. — Où sont vos soldats? (( L'oU'. — Je les ai laissés en arrière, vonlez-vons les voir? » Sur notre réponse affirniative, il lance un coup de sifflet strident. Ouinze soldats armés de fusils Hemine*- ' O ton, tête nue, vêtus de blanc, la taille serrée j)ar une cartouchière bondée de munitions, accourent à toutes jambes. A dix |)as de nous ils s’arrêtent, se mettent en ligne et présentent les armes. Ce sont de beaux gaillards, grands, bien bâtis, à l’air brave et intelli- gent. Nous examinons leurs armes : elles sont bien tenues. La conversation reprend. « N . — D’où vous viennent ces armes ? (( L'off'. — Ce sont d’anciens fusils remis j)ar les (( Italiens; ils ne sont ])as fameux. A présent nous en (( recevons d’excellents; les Français, à Djibouti nous « en vendent tant que nous voulons. Depuis que la (( guerre a éclaté, de grands transports d’armes et de (( munitions arrivent journellement à Harar. (( N . — Y a-t-il beaucoup de trouj^es à llarar ? (( L'off. — Non, très j)eu. (( N. — Qui les commande? (( L'off. — Le fitourari (général) Banagouse. 11 est (( prévenu de votre arrivée et sera demain ici... Ne « craignez rien : il aime beaucoup les Européens et (( n’amènera avec lui que cinq ou six hommes. « N. — Malheureusement nous devons j)artir demain (( matin. Nous regrettons beaucoup de ne pouvoir at- « tendre le général, mais le tenij^s nous man([ue. (( L'oU'. — Le général sera désolé de ne pas vous (( trouver; mais j’espère c[ue vous changerez d’avis 55 — (( jusqu’à demain. » — Sur ce il nous serre la main; ses soldats présentent les armes, et notre escorte se range en ligne pour lui faire honneur. Nous rentrons aussitôt chez nous ])our discuter la situation. Faut-il attendre le htourari Banagouse ? Que ferons-nous s’il amène un régiment avec lui ? Nos ar- mes et nos chameaux seraient de bonne prise en temps de guerre; et nous risquons toujours gros en nous aventurant au milieu de gens surexcités ])ar les évé- nements d’une gravité exce|)tionnelle. Le départ est enfin décidé pour le lendemain matin avant l’aube. Dans la soirée nouvelle entrevue de notre interprète avec l’officier; celui-ci lui promet, s’il nous persuade de rester, un troupeau entier de moutons, comme cadeau. Cette insistance nous paraît à tous bien louche, et ne fait que nous confirmer dans nos projets de départ. Nous congédions nos guides Habr-Aoual, qui nous quittent en appelant toutes les bénédictions d’Allah sur nos têtes ; nous les renijilaçons par des guides Bertiris qui doivent nous conduire dans la vallée du Jerer, car nous aurons à suivre cette vallée pendant quelques jours, en continuant notre route le long de la frontière abyssine. Le 12 novembre, nous quittons Jig-Jiga. Quelques heures après notre départ, le brave géné- ral Banagouse arrivait à notre ancien campement, avec mille hommes, qu’il n’avait probablement j)as fait venir dans le seul but de nous faire honneur. — Nous n’avons ajipris ce détail que c[uelques mois jilus tard, à notre retour. EUPHORBE GEANTE ET NID DE TERMITES CHAPITRE IV LES VALLÉES DU JEREU ET DU FAF L’étang de Courédéli. — Mauvaise volonté do notre escorte. — Carac- tère général de la vallée du Jerer. — Les puits de Dja. — L’indica- teur des ruches. — La vallée des rhinocéros. — Douali marche sur un serpent. — Dagahbour. — Un bi*ave. — Le Mont Sabatwein. — Gabouro. — Mon père tue deux rhinocéros. — Un lion mangeur d’hommes. — Une alerte nocturne. — La vallée du Faf. — Le premier Koudou. — Je manque une panthère. — Sigeïsa. Vers midi nous atteignons le |)etit étang de Coiiré- déli, réj)uté ])ar le capitaine Swayne comme un excel- lent poste d’affût nocturne. Nous ne trouvons j)as trace de gibier sur ses bords, mais en revanche sont parfaitement visibles les restes de la zériba où le vail- lant ex])lorateur guettait les lions et les rhinocéros ffiii venaient se désaltérer là-bas pendant la nuit, au clair de lune. Géli, le premier shikari de mon jTère, a été témoin de ses exploits et nous les raconte en dé- tail. L’étang se trouve dans un enfoncement de ro- cher, de beaux acacias le dominent. Des papillons aux couleurs resjTlendissantes voltigent au-dessus de l’eau, au bord de laquelle s’agitent de nombreux GO — vols de tourterelles et de |)ei*ruches. L’aj)rès-midi nous faisons une longue marche à travers un pays où les j)rairies alternent avec les futaies, jusqu’à J)adi (sur les bords du Jerer), — lieu de notre campement du soir; nos lauriers de chasseurs n’ont pas été très bril- lants pendant ces vingt-quatre heures : mon j)ère a bien vu une forte bande de phacocères et ouvert sur eux un feu nourri, mais ils sont à troj) grande dis- tance; aucun ne tombe. Dans la soirée une députation de nos gens vient nous déclarer qu’il serait bien mieux de rester dans le voisinage à faire bombance, au lieu de courir s’ex- poser dans des contrées inconnues à être tué j:)ar les Gallas ou la fièvre. Nous nous moquons d’eux et, avec la versatilité habituelle de leur caractère, ils finissent j)ar rire eux aussi; ils crient qu’ils iront au bout du monde avec nous, si nous le désirons, ])ourvu qu’il y ait un bon backschich au retour, bien entendu. Le Jerer est à sec; mais grâce aux ])luies, la vallée est très verdoyante. Le sol rougeâtre est fertile ; il donnerait de belles récoltes, s’il était cultivé; la val- lée est déserte; les anciens habitants ont émigré, me- nacés par les invasions continuelles des Abyssins, qui prennent ce chemin quand ils s’en vont faire une razzia dans l’Ogaden. Dès que nous nous écartons, mon j)ère et moi, du sentier suivi par la cara- vane, l’herbe devient si haute que nous avons jieine â marchei*, jiarfois nous risquons de tomber au fond de jirofondes crevasses (20 â 30 mètres) cachées par un fouillis de lianes et de branches. Des buissons au feuillage odoriférant répandent des parfums délicieux. — (U Somme toute la vallée du Jerer est uu joli |)ays; il est malheureux qu’eu ee moment le grand gibier y soit rare, cej^endant la vue d’anciennes traces de rhinocé- ros nous donne bon espoir. Les cuisiniers de notre caravane en revanche n’ont pas à se j)laindre, car nous tuons tous les jours des gazelles, des pintades, des faisans et des perdrix, c’est notre façon d’aller au marché, et cela relève j)lus de l’approvisionnement que de la chasse. — Je note en j)assant que, à re- bours de la perdrix d’Europe, le francolin somali se |)Ose sur les arbres, ainsi cpie la pintade. Le 13 novembre, nous canij^ons à Gaho ; le 14, nous renouvelons notre provision d’eau à Dja; les puits de l)ja datent du temj)s très reculé où les Gallas occu- paient l’intérieur du Somal, les Somalis ne possédant encore que la côte. — Les Gallas, peuple industrieux et travailleur, ont fait bien des travaux de ce genre dont les paresseux Somalis ont profité, aj)rès avoir conquis le pays. Un |)eu avant d’arriver à Hara Kalé, notre campement du soir, je découvre un sc[uelette d’éléphant, datant, il est vrai, de l’année dernière, mais nous laissant pressentir un pays à belles choses. Le 15 novembre j’ai le plaisir de faire connaissance avec l’oiseau indicateur des ruches que j’avais tou- jours considéré comme un mythe. Ce charmant petit oiseau n’est remarquable ni par son plumage ni j)ar son chant, mais par sa gentillesse et le j)eu de crainte c[u’il témoigne, vis-à-vis de l’homme. Il voltige autour de nous en poussant de petits cris destinés à attirer notre attention. Les shikaris qui le connaissent de longue date le traitent en vieil ami et lui crient le — irl — mot traditionnel: ((Ouali! Ouali! Ouah!» Il batjoyeii- scnient des ailes et j)asse d’un arbre à l’autre en ayant soin de ne pas nous perdre de vue. Nous le sui- vons : au bout de cinq minutes, il s’arrête sur un ar- bre creux autour duquel bourdonnent mille al^eilles ; c’est la ruche. Je laisse quelques Somalis à l’épiderme |)eu sensible en retirer le miel et l’apporter au camp, qu’on a établi à Jiélé, au milieu d’une forêt de mimo- sas couverte d’un sombre feuillage. Je commence à suivre la trace d’un grand rhinocé- ros que la caravane a dérangé dans son sommeil, en j)assant près de son gîte, vers les trois heures de l’après-midi : suprême inconvenance, car c’est le mo- ment où l’animal fait sa sieste, avec béatitude. Un vio- lent orage vient nous en punir, effaçant les emj)reintes et me trem])ant jusqu’aux os. 17 novembre. — La vallée s’élargit; les forêts de mimosas font place à des savanes d’herbe jaune, se- mées de rares bouquets d’acacias. — Au tableau : un blaireau horriblement musqué, un oryx tué parmi une centaine d’autres, en bande ; cela nous change un peu des éternels gérénouks (gazella Walleri) qui foisonnent dans la vallée du Jerer; en rentrant seul avec Douali à Goumbour-Touli, où nous campons, après avoir envoyé avec deux de mes hommes et un mulet la chair de l’oryx, je tue encore un aoul : je ne le retrouve qu’au bout d’une heure grâce à la couleur de rherl)e qui est la même que celle de la gazelle et grà(*e à la rouerie de Douali, qui faisait sendjlant de ne pas voir la bête (aj)erçue par lui depuis longtenq)s) — dans l’unicpie but d'éviter à ses é|)aules le transj)ort de la dépouille. Le pauvre diable manque payer bien cher sa suj)er- clierie, car au moment de rentrer dans la zériba, il marche sur un ])etit serpent jaune pointillé de noir; il n’a que le temj)s de sauter de côté pour échap])er à une j)iqûre mortelle. Depuis que nous avons quitté les régions élevées du llarar, les journées recommencent à être atrocement chaudes. J^es nuits continuent à être fraîches et cela nous soulage. Jusqu’à Jig-Jiga l’état sanitaire de la ca- ravane a été excellent, mais ces derniers jours je n’ai fait que distribuer de fortes doses de quinine aux individus atteints de la fièvre, et de l’huile de ricin à ceux plus nombreux qui souffrent d’indigestions. Le 17, nous traversons la vallée des Rhinocéros (( Ouïlé ; )) nous y abattons bon nombre de générouks, que nous faisons lever à chaque j)assage dans un fourré. En certains endroits d’interminables sillons creusent le sol: ils ont l’air d’avoir été faits avec la charrue et suivent le sentier j)endant des kilomètres ; le rhinocéros (en Somali, ouïl) est l’auteur responsable de ces sillons bizarres; il ne se livre pas à l’agriculture, mais quand il n’est ])as |)ressé, il trouve très amusant de laisser pendre sa tête en marchant, si bien que ses deux cornes labourent ])rofondément le sol. Le 18 nous voit à Dagahbour où nous devons renou- veler notre provision d’eau. C’était jadis une ville Somalie assez imj)ortante, entourée de tous côtés par des champs cultivés; elle a été brûlée ]:)ar les Abyssins et les habitants ont été passés au fil de l’épée. Il n’en est resté que les puits autour desquels viennent cam- ]:)er un certain nombre de nomades, des Rér-Ali, pen- — iVi — (lant la saison sèclie. Ayant en la chance d’y rencon- trer des indigènes en route pour Berbera nous leur confions des letti*es pour rEiirojje. Nos guides Bertiris congédiés rentrent à Jig-Jiga et sont rem j) lacés |)ar des Bèr-Ali qui doivent nous con- duire à Bourka, en un pays inhabité et giboyeux, com- pris entre le Somaliland proj)rement dit et la terre des Ennia-Galla. Une masse d’indigènes grouille autour delà zériba. On me montre l’un d’entre eux, légèrement estropié et ])ortant le bras droit en écharpe ; attaqué et renversé par une lionne à l’improviste, il a eu la force, la pré- sence d’esj)rit de planter la sagaie, qu’il tenait de la main gauche, dans le cœur de la l)ête, tandis f[ue les dents de la lionne lui déchiraient l’épaule et que ses griffes lui labouraient la poitrine. — Le fait s’est ])ro- duit il y a trois jours. Le 19 novembre, nous j^énétrons dans la région des collines qui séparent la vallée du Jerer de celle du Faf; nous passons au pied du Mont Sabatweïn, où le célèbre chasseur Lord Delamere faillit trouver la mort. Il avait mortellement atteint, mais non tué sur le coiq:), un lion ; celui-ci s’élança sur lui, le terrassa, et tout était fini sans l’héroïsme du shikari qui saisit à pleines mains la crinière du fauve, et rem|)êcha d’achever sa victime; une seconde après, le lion expirait des suites de sa blessure, non sans avoir abîmé le courageux Somali qui, devenu à jamais invalide, vit maintenant à Berl)era, de la pension fjue lui a fait servir le rec'on- jiaissant Lord Delamere. L’après-midi est oc(*upéc pai- une longue marche à LE MONT KALDECH travers de larges plateaux recouverts de blocs de pierre rougeâtre, entre lesquels ])oussent de petits buissons épineux. Nous rencontrons des diks-diks en nombre incroyable : mais le garde-manger est abon- damment pourvu de viande, nous laissons donc ces jolis animaux en paix. Le soir, nous campons au fond d’un ravin, qui crevasse le sommet d’une haute rangée de collines, ligne de partage des eaux du Jerer et du Faf. Tout autour de nous le sol est couvert de fleurs rouges analogues à celles des pétunias, les buissons portent des fleurs violettes qui rappellent les gueules- de-lion. Enfin d’étranges petits arbustes, hauts d’un mètre et demi, nous montrent un tronc en forme de ])yramide, large d’un mètre à la base, terminé en pointe et couronné d’un gros bouquet de feuilles lan- céolées, mêlées à des fleurs d’une belle couleur pour- pre. Cette végétation nous fait sentir plus nettement que jamais la distance qui nous sépare de la vieille Euro])e. Le lendemain, une heure à peine après avoir quitté la zériba, où nous avons passé la nuit, je vois sou- dain une caravane s’arrêter et camper. Eggeh accourt ; il me raconte qu’il a vu les traces de onze rhino- céros ce qui nous promet de belles aventures. Je vole à l’endroit qu’il me signale ; mais les traces datent toutes de la veille ; en revanche on voit celles d’un lion très nettes et toutes fraîches, qui se per- dent hélas ! bientôt dans un terrain rocailleux. Je rentre, déjeune, repars, monte sur la colline au Nord du cam])ement, trouve de nouveau des ])istes de rhi- nocéros sans résultat pratique, vois filer sous mon 5 nez un koudou de la grande espèce, et bredouille, découragé, réintègre enfin le camp où mon père vient d’arriver à l’instant. Tout en absorbant un pot de confiture et de l’eau fraîche, il me raconte tout rayon- nant ses exj)loits. Comme début, il a aperçu une douzaine de koudous ; parvenu tout près d’eux par de savantes manœuvres, il les reconnaît j^our des femelles ne valant pas leur charge de poudre ; un oryx est de même poursuivi et abandonné par lui, faute de jiouvoir l’avoir à portée ; enfin sur le point de retourner aü camp, il découvre des traces toutes fraîches de rhinocéros, deux de ces animaux ont passé là, auxquels s’est bientôt joint un troisième. Après avoir escaladé trois rangées de colli- nes et parcouru trois vallons en les suivant, il tombe dans une large vallée qui s’étend jusqu’au Faf. Géli aussitôt se met à courir en avant, deux rhinocéros filant devant lui. Mon père court vers eux, et tire sur fun à son passage entre deux buissons ; la poursuite continue ; il y a du sang sur les buissons ; un des pa- chydermes s’arrête et attend traîtreusement les chas- seurs pour se jeter dessus; une balle vient le châtier ; il disparaît dans les branches. A cet instant Géli crie à mon ])ère : « Look ! » attention ! il se retourne et voit le second et le troisième rhinocéros, arrivant sur lui à fond de train ; l’un d’eux le charge, tète baissée, les cornes rasant le sol, et mugissant horriblement ; une balle appliquée en plein front le fait tomber à genoux, puis rouler sur le flanc, mort. Mon père et son shikari n’ont que le temps de se jeter dans les buissons pour éviter la (*harge des deux autres animaux, tous deux — G7 — blessés, qui passent à côté en soulevant un nuage de poussière. L’heui*e tardive fait rentrer alors mon père, qui remet la suite de la chasse au lendemain. A])rès avoir terminé son récit, qui me fait venir Teaii à la bouche, mon père toujours infatigable, se met, le même soir, à raflût au lion dans une petite zériba de- vant laquelle on a attaché un ane. Toute la nuit les oens hurlent, chantent et dansent autour des feux; ils O font griller d’énormes ([uartiers de moutons, sacrifiés en l’honneur de la belle chasse du jour. Eggeh me ra- conte que les habitants d’une karia voisine (karia — village somali), ap])elée Gabouro, lui ont signalé la présence, ici, d’un lion mangeur d’hommes, qui enlève toutes les nuits un homme ou une brebis dans les zéri- bas. Afin de lui faire un accueil digne de sa réputation, si la fantaisie lui prend de venir, je dépose ma cara- bine chargée au pied de mon lit. La nuit se passe sans alerte ; mon j)ère a bien en- tendu rugir deux lions, mais ils ne se sont ])as assez avancés pour sentir raj)pàt. Nous |)artons ensemble pour retrouver le rhinocéros tué. Après l’avoir dûment photographié, nous allons à la recherche de ses cama- rades blessés, dont la piste se ])erd bientôt sur un sol rocailleux. Pendant sept heures, j’en suis une autre plus fraîche, mais sans succès. Je me décide à rebrous- ser chemin ; nous nous sommes écartés bien loin du campement et voici que la nuit nous surprend en route. Déjà les détails se noient dans l’ombre ; seuls les contours des montagnes se dessinent sur le ciel encore lumineux; soudain à cinquante pas de nous retentit le rugissement d’un lion, au fond d’un torrent (lesséclié fjiie nous longeons. Il serait insensé de des- (*endre dans le ravin dont le fond est rempli de taillis impénétrables. — Je mets nii point de tiiire blane à ma carabine, fais taire mes gens, et attends ra])parition (In lion qui, grognant de façon très menaeaiite, semble se rap|)roelier peu à peu. Il eommenee à faire nuit noire et mes shikaris me font respeetnensement (jb- sei'ver f[ne la plaisanterie devient mauvaise. Je reste encore ein([ minutes |)onr n’avoir j)as Tair de leur céder, mais, reecjnnaissant qu’au fond ils n’ont pas tout à fait tort, je me remets à marcher vers le camp. Nous nous égarons à plusieurs reprises, mais le t(jr- rent desséché, on le lion nous aeeeompagne tonjonrs en grondant, nous fait retrouver le chemin. Il n’y a j)as à dire, c’est avec satisfaction ([ne j’aperçois les feux de la zériba ; mon père est déjà à l’affnt avec ses shi- karis et son àne ; moi, ([ni n’ai rien mangé de[:)nis le matin, je me fais imj)roviser un excellent dîner ])ar Gonreh, le cuisinier, qui reçoit mes sincères félicita- tions. f]n voici le menu ([ni [)ronve (jne nous ne mou- rons pas de faim en Afri([ne. Potage Julienne Vol-an-vent de Franeolin Pâté de dik-dik Filet de géré n on k C()mj)()te de fraises Ihni potable Fn guise de mnsi([ne de table, les (‘liants des Somalis (pii eontinnent à bamboehei* et à se gaver des restes des montons de la veille. Après dîner, je donne des médicaments aux ma- — 69 — lades : et Dieu sait s’il y en a ce joiir-là! à cause du festin, bien entendu. Enfin je cours me mettre au lit avec la ferme intention de dormir une douzaine d’heures de suite. Au milieu de la nuit, je suis réveillé par un remue-ménage général. Les sentinelles crient (( Libah ! Libah ! » (le lion! le lion!). JjCs chameaux se lèvent et tâchent de briser leurs entraves. Un lion a sauté dans la zéril)a et pour s’approcher de nos mou- tons il a rampé le long de ma tente. Effrayé par le bruit cpie son a])j)arition a provoqué, il a décampé en franchissant d’un bond la palissade. Ouand je sors de la tente, mon fusil à la main, tout est redevenu calme. Sans doute ce n’est ])as là un événement bien remar- quable pour nos Somalis. Ils en ont vu bien d’autres dans leur vie aventureuse. Ce lion ]:)asse ])our avoir mangé bien du monde; il y a trois jours, il a encore enlev é et dévoré un homme dans une zériba du voisinage. J’ajoute tout de suite que ce mangeur d’hommes n’est pas encore tué et que nous en avons entendu j^arler de nouveau, lors de notre retour à la côte. Mon père, revenant de l’affût, part à la poursuite de la terrible bête: et ce n’est pas sans anxiété que je le vois disparaître dans la brousse, suivant, l’œil aux aguets, le fusil armé, la trace des énormes j)attes net- tement imprimées dans le sol sablonneux. — Pour ma part je file comme un détective deux rhinocéros sur une bonne piste; recherche infructueuse d’ailleurs ; en rentrant pour déjeuner je vois le squelette de celui qu’a tué mon ])ère ; les vautours en ont fait une belle pièce d’anatomie. — 70 — Vers deux Jieures, avant le retour de mon j)ère, je vais flâner dans les environs, trop fatigué pour chasser sérieusement. Guidé par un vol de Aautours jusqu’en un j)etit A^allon, j’y trouve soudain le cadavre d’un rhi- nocéros, couché sur le flanc, au milieu de buissons aro- matiques. La mort ne peut dater de longtemps, car il est en parfaite conservation et les vautours ne lui ont encore déA oré que les yeux. En l’examinant de près, je vois qu’il a le ventre traA^ersé ])ar une balle; après de laborieuses fouilles aAec un couteau je j)uis l’extraire, elle s’est arrêtée dans la peau, du côté opposé à celui où elle est entrée. Cette balle en acier, cerclée de ])lomb, est décidément une fameuse iiiA ention; elle ne se déforme pas et possède une pénétration inouïe. J’ai affaire à Lun des deux pachydermes blessés par mon j)ère deux jours auparaAant. Ce coquin de Douai i, jugeant les autres d’après lui- mème, me tient le petit raisonnement qui suit : « Si (( A^ous racontez ce qui s’est j^assé au camp, a’ous n’au- (( rez pas tué de rhinocéros et c’est Géli qui aura tout (( le ])ourboire. 11 A^aut bien mieux tirer un couj) de fusil (( en l’air et raconter que c’est a^ous qui aA ez tué la (( grosse bête ; les gens a ous acclameront et vous me (( donnerez un n*ros backschich. » O Pour le calmer je lui promets que le ])ourboire serait également partagé entre Géli, qui était aux côtés de mon j)ère lors de la chasse, et lui, Douali, ([ui a ])articipé à la décoinerte du cadaAU'e. Rentré au camp j eiiAoie une douzaine d’hommes me rapporter la tète de l’ani- mal ainsi f[ue sa peau ([ui a une très grande valeur : on en fait une foule de belles choses, boucliers, cou])es. — 71 — meubles, fouets ; elle a Tépaisseur cruiie j)lauclie et se ( iselle comme du bois dur. Bientôt mon j)ère revient bredouille de sa chasse au lion, mais la nouvelle qu’il a tué deux rhinocéros, et non pas un seul, lui met du baume sur le cœur. Il est très fatigué car il a suivi pendant de longues heures les traces du mangeur d’hommes ; celui-ci, après nous avoir rendu visite, s’est payé encore le luxe de sauter dans trois zéribas de Somalis, sans faire d’ailleurs d’autre mal que d’enlever une chèvre à la dernière des trois. Il est allé dévorer sa victime dans un innextricable fourré où l’on a perdu sa ])iste. Le soir mon père ne retourne |)lus à l’affût : il se contente de faire attacher un àne en dehors de l’enclos ; Géli qui veille est chargé de l’avertir si le lion saute sur le baudet. Nous ne tardons j)as à nous a|)ercevoir que ce sys- tème de chasse est défectueux ; en effet le lion vient, bondit par dessus l’àne sans lui faire de mal et dispa- raît avant que mon père, appelé en toute hâte, puisse m è m e 1 ’ a j)e l'ce vo i r . Le lendemain nous quittons enfin Gabouro, |)our descendre dans la vallée du Faf. Tandis que je suis inutilement des pistes de rhinocéros, mon père tue un beau koudou mâle de la petite espèce (strepsi- ceros imberbis), ravissante antilope très difficile à approcher dans les épais fourrés où elle gîte. La vallée du Faf fait j)laisir à voir; la végétation y est belle et fournie : les euphorbes géantes, surtout, avec leur as|)ect de candélabres hiératiffues, leur feuil- lage sombre et décoratif, produisent une grande im- pression de puissance sauvage, de splendeur farouche. L’iu'rhe est très vej*te o-rare aux ahonclautes pluies ([ui nous ont ))réeéclés. De noinl)reLix troupeaux de ^azelk's Sœniiueringi et ^^"alleri aiiinieut le paysage ; j’ahats un grand luàle de ehaeune de ces espèees. Le soir nous eauij)ons sur un nianielon isolé, (pii s’élèA'e au milieu de la vallée du Faf, en un lieu aj)pelé Goulensi ; une panthère vient voir ee ([ue nous faisons, mon père ra|)ereoit dis|)araissant dans les buissons avec la raj)idité de Fée lai r. Le 24 noveml)i*e nous passons le Faf très gros j)ai‘ extraordinaire, il est à sec les tnjis (quarts de Lannée. Ce n’est un grand fleuve (pie dans la saison des pluies. D’in- nombrables traces de lions et de rhinocéros sillonnent les deux bords ; mais ils ne viennent boire (jue la nuit, et le jour ils ne descendent pas des plateaux. Arrivés sur l’autre rive, nous a|)ercevons, gravissant les flancs de la montagne, trois grandes antilojies (|ue Douali me dit être des koudous de la grande es|)èce. Je lui passe ma jumelle pour s’assurer du fait. 11 grimpe sur un arbre et commence ses observations. Lien de |)lus co- casse que le brave nègre, réglant avec conscience sa lorgnette ni plus ni moins que Francisque Sareev à une (( pi emière. » 11 descend enfin ])our me dire que deux des animaux sont femelles, mais (ju’il a des doutes sur le troisième. N’aimant pas la maxime a dans le doute on s’abstient, )) je veux en avoir le cœur net ; je me dirige avec mille précautions vers les antilopes, laissant l)ient(')t llousseïn, le seïs et le mulet en arrière, et com- mençant à ramper je jiarviens au bout d’un (piart d’heure à bonne portée. 11 y a deux femelles, c’est cer- tain : pas trace de cornes. Mais le ti’oisième ? il est der- AU BORD DU WEBI CHEBELl rière un arbre, ne montrant qu’une partie de son arrière train. Il fait un mouvement, une tête armée de super- bes andouillers en spirale apparaît. Boum ! un coup de carabine retentit au loin dans la direction ])rise par mon père; les deux femelles disparaissent aussitôt; le mâle galope dans un taillis d’arbustes rabougris qui lui arrivent à l’épaule. Je tire et j’entends la balle casser les branches. Douali soutient que la bête n’est pas tou- chée; il se trompe, une des jambes de derrière pend inerte, elle grimpe péniblement les pentes de la mon- tagne; deux coups de fusils l’achèvent à ma grande joie. C’est de toutes les antilopes somalies celle qui a la taille la plus considérable et qui est la plus difficile à tirer. Ses longues cornes en spirale forment un trophée de chasse magnifique. Je tue encore un aoul à 28 pas bien comptés ]:)uis rejoins la caravane qui campe sur les j^lateaux à droite du Faf. L’après-midi la marche est facile et agréable : sur des terrasses recouvertes d’une terre rouge très fertile, où ]30ussent des arbres épineux, au feuillage foncé, on marche dans une ombre bienvenue : nous remarquons aussi d’autres arbres, sans feuilles en cette saison, au tronc jaune et lisse comme de l’écaille et enfin des arbustes odoriférants de toute espèce. Le sol est tapissé de petites fleurs rouges et jaunes; nous traversons un vrai jardin botanique. J’arrive le soir assez tard au campement; car j’ai trouvé sur la route un de nos hommes évanoui à la suite d’un accès de fièvre et j’ai du le rapporter à grand’peine au camp, avec le concours de mes shikaris. Le 25 novembre, nous atteignons Dagahmedo, sur — lis — les bords du Saloul. Je trouve les ))remières traces de zèbres et me réjouis beaucouj) à l’idée de ra|)j)orter eu Europe la jolie robe rayée de quelques-uns de ces ani- maux. Kn arrivant à Dagahmedo, j’assiste à un spec- tacle des plus dégoûtants ; on est en train de renou- veler notre provision d’eau. Nos Somalis sont ])longés jusqu’aux épaules dans les fontaines bourbeuses d’où ils puisent une eau qui a servi j)réalablement aux ablu- tions de l’escorte; c’est cette eau que nous serons con- damnés à boire. L’après-midi nous remontons sur les ])lateaux ; la vue est devenue splendide, de là-haut; au Nord et à l’Ouest montent toutes bleues les hautes montagnes de l’Abyssinie et du pays Galla; vers le Sud et l’Est des valonnements verts ondulent à perte de vue, en une succession de teintes soyeuses. Soudain une grosse bête ])art tout près de moi et arrivée à cent ])as, s’arrête ; elle est de forte taille et Douali crie « une lionne. » Je tire ; l’animal s’abat, se relève avec peine et disparaît dans les buissons. Nous commençons à suivre les traces, à la vue desquelles Douali m’annonce que c’est un « chébel, » une pan- thère Nous traversons un j^etit fourré sans rien a])ercevoir de sus])ect, quand, à deux pas de moi, la panthère se dresse et détale en faisant des bonds pro- digieux; je décharge mes deux canons sur elle, la man- que, suis une ])iste Aite ])erdue sur un sol rocailleux, et rejoins la caravane, absolument enragé et hors de moi. Le campement est établi près d’un A’illage de So- malis Méléngour, aj)pelé Sigeïsa. CHAPITRE V HOURRA t,A VALLKE DU DAGHATÏO T. a vallée du Douri. — Plusieurs rhinocéros sont sig'iialés. — Je tue trois zèbres eu une matinée. — T^e Mont Dabala. — Mon premier rhinocéros. — Le premier éléphant. — Ma pi'emière panthère. — Mon cheval s’enfuit. — L’endroit où fut assassiné Pietro Saccojii. — Chasse mémorable des comtes lioyos et Coudenhove. — Nous quittons le Daghatto — Je m’égare dans la f’orèt. Eli quittant Sigeïsa, nous entrons dans le jiays de Bourka par la vallée du Douri. On ajjpelle ainsi la vaste région inhabitée cfui s’étend entre les Somalis et les Ennia-Gallas et ([ui sert souvent de champ de bataille aux deux nations. Comme les chasseurs et les bergers ne s’y aventurent tpie rarement, le gibier y est plus nombreux et moins craintif f[u’ailleurs. A midi nous cam|)ous à Douri dans le lit desséché de la rivière du même nom ; je rentre fatigué d’avoir suivi longtemps des traces de rhinocéros et de zèbres, sans jiarA^enir à apercevoir un seul de ces animaux; en revanche, mon ])ère a passé une matinée plus mouvemeutée. — 78 — Sur une hauteur un animal lui est d’abord aj)j)aru avec tout l’aspect d’un rhinocéros couché; le silence de Géli, (jui pourtant regardait de ce côté, lui fait croire à « ... uiK* eri-eui- de ses sens abusés, » il craint d’avoir j)ris un vulgaire chameau, dans le loin- tain, pour un j)achyderme et ses désirs j)our une réalité ; cej)endant le mutisme de Géli n’est dû ([u’à son extase en présence d’un autre rhinocéros grimj)ant une j)ente à gauche de la vallée; il le montre à mon père, qui refuse d’entreprendre la poursuite, ])ersuadé qne je suis de ce côté et ne vais pas tarder à rencontrer la bête. En i*ejoignant la caravane (([ui se dirigeait versDouri), mon j)ère entend l’escorte pousser des cris effrayants, elle vient d’a])ercevoir le premier rhinocéros, qui n’était pas chameau du tout. Mon père se dirige vers l’endroit où il l’a remarqué d’abord ; Géli décidément distrait, se trouve soudain nez à nez dans un fourré avec le rhinocéros, qui dormait, l^e ])auvre animal troublé dans son sommeil, se lève et commence à piéti ner comme un ])ossédé, envoyant à mon j)ère et à Géli une grêle de cailloux dans un nuage de poussière. Mon père dont le fusil est entre les mains de Géli, et les deux shikaris, aveuglés])ar le sable, croient qu’ils sont attacjués ])ar la bête et se hâtent de disparaître dans les buissons. Le rhinocéros enchanté de la bonne farce cpi’il a faite, remonte adroitement sur les ])lateaux et part à la recherche d’un gîte |)lus paisible. Trop fatigué, mon ])ère renonce à le suivre et renti-e à Douri ; je poursuis à sa place, mais sans succès, la chasse commencée; eu revenant, au coucher du 79 — soleil, j’aperçois deux beaux zèbres mâles dans une clairière ; mais les shikaris peu désireux de retourner de nuit au camp, m’égarent à dessein, et me ramènent droit à nos tentes où je leur donne une verte semonce. C’est ici que nous rencontrons et tuons pour la pre- mière fois la ])intade vulturine qui ressemble à la pin- tade ordinaire, comme un oiseau de paradis ressemble à un geai ; sa poitrine bleu de ciel, aux reflets métalli- ques, son collier de longues plumes blanches et noires, ses yeux de rubis, en font un des plus beaux oiseaux qu’on puisse tenir au bout de son fusil. A dîner, le cui- sinier nous la fait apprécier aussi au point de vue cu- linaire. Le 27 novembre, en suivant sur la rive gauche du Douri, la crête dentelée d’une chaîne de collines, j’entends au pied d’un rocher que je venais d’escalader un long hennissement. Baissant les yeux, je vois trois beaux zèbres, dont deux broutent avec tranquillité ; un seul, agité, renifle à grand bruit, m’ayant sans doute flairé là. Je serais resté longtemps à contempler ces bêtes élégantes et superbes, sans l’arrivée du shikari qui vient les mettre en fuite. Je décharge sur eux mes deux canons et entends le bruit caractéristique de la balle pénétrant dans les chairs. Nous trouvons, sur les traces, des mares de sang, qui nous prouvent que deux zèbres sont grièvement atteints ; le cadavre de l’un d’eux est bientôt découvert ; un autre galope parmi les rochers, bondissant comme un chamois ; je tire, il s’abat, se relève, court encore quelques minutes, puis tombe mort. En arrivant près de lui je constate que c’est le troisième zèbre, sur lequel je n’avais j)as — 80 — fait feu au dél)ut. Je cliarge les shikaris de dépouiller les deux animaux tués, et de rechercher celui que j’ai blessé. Rentré au camp, j’y suis bientôt rejoint par mes hommes pliant sous les quartiers de chair et les dé- ])ouilles des trois zèbres : comme ce sont les premiers que je tue, ce résultat me fait bien ])laisir, mais je ne tarderai pas à me dégoûter de cette chasse, indigne d’un chasseur qui se respecte. J’ai tué depuis d’autres zèbres, non par ])laisir, mais pour procurer de la viande fraîche à l’escorte, et chaque fois que j’ai tiré sur ces jolis animaux, inoffensifs et peu farouches, je me suis fait l’effet d’un boucher. Quittant ensuite la vallée du Douri, nous nous engageons dans un défilé et sommes le soir au pied du Mont Dabala, dans la vallée du Daghatto. A l’aube, des éclaireurs remontent la rivière pour nous renseigner sur la présence de bandes d’éléphants qu’on dit s’y trouver. L’un de ces hommes revient au bout de dix minutes nous annoncer qu’un rhinocéros géant se j)romène tout ])rès du camp ; comme mon père a déjà tué deux de ces animaux, c’est à mon tour de marcher ; le rhinocéros n’est naturellement plus à la place où il a été vu, mais sa trace est facile à suivre, dans les hautes herbes, sur les bords du Daghatto où il s’est baigné une douzaine de fois tout en continuant sa marche. Je pique, très malgré moi, une tête dans un fossé rempli d’eau ; la sensation est j)lutôt agréable, par la chaleur accablante qu’il fait. La j)oursuite de- vient ])lus difficile quand la trace s’engage sur les flancs rocailleux du Mont Dabala ; nous la |)erdons un instant ])our la retrouver à la descente. Déjà très fati- MON QUATRIÈME RHINOCÉROS ■ 1 .?v •• -<> ' '-«J — 81 — gué, je suis avec j^eiue mes shikaris, qui, inlassables, débrouillent sans diflicnlté les nombreux détours de la piste. Soudain à trente pas de moi au pied d’un ar- bre, le rhinocéros se dresse, renillant très impoliment, suivant l’usage de sa race, — les cornes baissées, indi- (j liant ])ar là son intention de charger. Je tire et l’at- teins an cou. 11 se jette sur nous, mais en décrivant nn demi-cercle afin de foncer à bon vent. Au moment où il me présente le flanc, je fais fen de mon canon gau- che et par un coup maladroit, mais heureux, je lui brise la colonne vertébrale ; il tombe, paralysé. Une balle au cœur l’achève et je rentre au camp. Ce rhinocéros est le plus grand f[ue nous ayons tué au cours de notre expédition ; c’est un vieux mâle ; il offre cette particu- larité d’avoir, la seconde corne presque aussi longue (jue la |)remière ; le fait est rare chez ses congénères somalis dont la seconde corne très courte est comme atrophiée. Le soir, la bande de nos éclaireurs rentre, chantant à tue-tête, ils annoncent qu’ils ont vu une vingtaine d’éléj)hants, trois rhinocéros, de nombreux zèbres, beaucouj) d’oryx. Le 29 novembre, nous nous dirigeons vers l’endroit où ils prétendent avoir vu les éléphants en remontant le Daghatto ; nous marchons en tète de la caravane ; Douali et Géli aperçoivent un rhinocéros sur les flancs de la colline que nous longeons; il disparaît dans un enfoncement de terrain, nous l’y suivons et le perdons de vue ; il nous tire d’embarras en montrant son énorme tète au sommet d’un coteau à une vingtaine de mètres au-dessus de nous et en reniflant bruyamment. Mon 6 — 82 — j)ère le vise et l’atteint juste entre le nez et la bouche. Exas|)éré ])ar cette blessure des plus douloureuses, il comnience à piétiner, s’en\ elo|:)j)e d’un nuage de pous- sière et se préci|)ite en droite ligne sur moi, faisant dégringoler a|)rès lui toute une avalanche de j)ierres. Je tire presque en même tem])s mes deux cou|)s et les deux balles lui j)énètrent dans la cervelle un peu au- dessus de la deuxième corne ; la seconde balle de mon père, partie simultanément, lui traverse le cœur ; la bête tombe si ])rès de moi que je puis la toucher avec le canon de ma carabine sans quitter ma place. C’est une femelle de forte taille ; il est dommage qu’elle ait la première corne un |)eu usée. Les shikaris qui s’étaient cachés dans les buissons reviennent, en entonnant le chant de triomphe traditionnel. Là-dessus toute la caravane accourt et commence à dépecer le rhinocéros; chemin faisant nous dissertons sur la meilleure manière de le tuer quand il attaque ; comme il rase le sol avec ses cornes, je crois, pour ma j)art, que la méthode la |)lus sûre est de viser le front ; si l’on manque cette cible relativement petite on a toujours la chance de lui casser l’échine. Au retour dans la vallée mon j)ère abat son j)remier zèbre, un très beau male. J’aperçois très près de moi un zèbre femelle, accom])agnée d’un déli- cieux j)etit poulain qui a l’air d’un joujou d’enfant ; quand je les ai bien vus gambader, je rejoins la cara- vane, sans |)lus m’occuper d’eux, au grand désesj)oir de mes shikaris c[ui auraient voulu transformer le |)etit zèbre en biftecks de |)remière qualité. Vers midi on plante nos tentes dans une grande ])rairie, non loin de la forêt où les éléphants sont signa- — 83 — lés. Nous remettons la chasse au lendemain, après avoir envoyé de nouveau nos éclaireurs à la décou- verte, et avoir reçu d’eux des réponses très satisfai- santes. A l’aube, nous sommes dans la forêt ; les traces de ])achydermes abondent, mais les plus fraîches sont de la veille. Nous marchons avec lenteur; à chaque instant les shikaris montent sur les ]:)lus hauts acacias |)our inspecter les environs : ils aperçoivent un grand rhino- céros mais déjà quatre de ces animaux chargent notre tableau et nous ne les |)oursuivons |)as, par crainte de voir les détonations effrayer nos élé])hants. Nous con- tinuons à errer à l’aventure ; non loin de nous un rhi- nocéros femelle donne des leçons de saleté à son j)etit, elle lui enseigne entr’autres choses à j)iétiner de façon à soulever des nuages de poussière ; nous laissons en paix cette brave mère de famille et toute la journée se ])asse à la recherche des introuvables ])achydermes ; nous allons ainsi bien loin, jusqu’au pied d’une monta- gne ap])elée Firk, où le Daghatto prend probablement sa source. A trois heures, nous donnons le signal du retour sans avoir vu de traces fraîches. A cinq heures, en revanche, très j)rès du camp, nous trouvons la])iste inattendue et récente de deux grands éléphants. Le fumier encore humide, de grandes branches arrachées d’où la sève coule, prouvent que les géants ont ])assé là quelques minutes à |)eine avant notre arrivée. Je marche en tête avec Douali ; car mon père a eu la bonté de m’abandonner la première chance qui se présente- rait. Soudain, Douali qui me précède me met, avec une — S"| oriniac'C expressive, la grosse carabine en main, nTem- poigne |)ar le l)ras, me fourre clans un éj)ais taillis, tombe à genoux et clans eette j)C)sition c'omme pétrifié, me mc^ntrc de son bras tendu un éléj)hant, à vingt pas à peine de moi .,J^e colosse sent c|uelc{ue chose d’insolite et regarde clans notre direction sans se rendre bien c'ompte de ce cjii’il a devant lui. Sa grande trc)mj)e pen- dante, se balance entre ses défenses comme un pendule. Il n’y a pas de temj)s à perdre ; je vise au bas du cou, et tire. Il se retourne lentement, me présente le flanc; je lui loge une balle au défaut de l’épaule ; il tombe puis se relève ; je tire encore deux eou])s de feu, bientck suivis de ceux de mon père. 11 s’abat enfin de tout son poids, mort, écrasant j)lusieurs arbustes clans sa chute. — J’ai eu de la chance, car si ma première balle ne l’avait ])as |)aralysé en éraflant une des vertèbres du cou, nous n’aurions jamais pu le mitrailler à notre aise, et Dieu sait si nous eussions ])u échaj)])er à la charge terrible d’un élé])hant en fureur à travers ces im])éné- trables fourrés où la marche est presc{ue im[)ossible. Cette chasse tro]) facile m’ins])irant une très grande assurance en face de l’éléphant, devait me faire com- mettre, c[uinze jours plus tard, au j)iecl du mont Ivaldech, inie imprudence c[ui faillit me coûter la vie. Aj)rès avoir contemplé l’animal avec satisfaction nous rentrons au camp, abandonnant, à cause de l’c^bscurité, la j)oursuite de l’autre éléphant ([ue les coups de fusil ont mis en fuite. Arrivés à notre zéi’iba, les hommes nous racontent cpie, tandis c[ue nous étions allés cher- cher bien loin les éléphants pour en trouver deux juir pur hasard, une forte bande de ceux-ci avait sc'journé — 85 toute la journée auj)rès de quelques mares bour- beuses dans le voisinage immédiat du camj) et n’avait (juitté la place qu’un moment avant notre retour. Mon père |)art le lendemain sur les traces de cette smala ; moi, je me dirige vers notre trophée de la veille, afin de le photographier et d’en extraire les défenses. Je suis escorté de mes shikaris, du seïs et de quelques hommes, chargés de l’appareil photograj)hique ainsi (pie de ])lusieurs grosses haches. La veille je n’avais ])as eu le temps de bien examiner la bête. Je me rattrape; c’est un vieux male; de belle taille; une de ses défenses a le l)out brisé; accident arrivé au cours d’un combat avec ([uelque rival, ou en déracinant un arbre. Comme chez tous les éléj)hants d’Africpie, les oreilles sont énormes, couvrant tout le cou et une grande ]:)artie de la poitrine. Il a une drôle de couleur, due à la terre rouge on les élé])hants de cette région ont l’habitude de se rouler. L’extraction des défenses prend beaucoup de tem])s; car elles s’enfoncent très profondément dans le crâne, jiassant sous les yeux pour se rejoindre au milieu du front. Vers midi tout est fini; en rentrant, j’ajierçois les traces fraîches d’une vingtaine d’élé])hants, sur lescpielles se dessine l’empreinte encore plus récente des chaussures de mon père. L’a|)rès-midi je vais me promener en une j)rairie voi- sine ])Our approvisionner la cuisine de gazelles ou d’an- tilo])es. V oyant tournoyer des vaut(3urs au-dessus d’un objet ([lie je ne distingue j)as l)ien, je me dirige vers eux pour savc^ii* (*e qu’ils cherchent, me j)roj)Osant, aussitôt ce point élucidé de chasser quelc[ues aouls qui — 86 — hroutent uii peu |)liis loin. Ouaiul noussonimes à deux cent pas des vautours, les aouls se mettent à fuir, mais au lieu de s’éloigner de nous, ils viennent droit sur moi, et ne s’arrêtent qu’à trente pas. Notre présence ne semble pas les inquiéter, mais ils regardent avec terreur un petit buisson isolé dans la prairie. Douali me dit qu’ils sont sûrement éj)ouvantés par la présence d’un lion ou d’une panthère; la carcasse au-dessus de laquelle planent les vautours et qui semble être le ca- davre d’un jeune aoul a dû attirer la bête fauve. A peine Douali achève-t-il sa phrase qu’une grande ])anthère sort du buisson, y rentre j^récipitamment à notre vue, en ressort de nouveau, et détale à travers la prairie. A une centaine de pas, elle s’arrête et se retourne, pour voir quelle tête nous faisons. Je profite de ce mo- ment pour tirer et une balle explosible envoyée dans les côtes la fait tomber foudroyée ; nous la portons au canij) où je la photographie; ensuite je reviens à la prairie, y manque maladroitement un oryx assez ra])- ])roché et abats deux beaux aouls mâles. A la tombée de la nuit, mon père rentre ; les élé- phants l’ont fait inutilement trotter; ils marchaient d’un trop bon pas et semblaient résolus à quelque loin- taine émigration. Le 2 décembre : descente du Daghatto ; vers midi on camj)c de nouveau au pied du Mont Dabala; l’après- midi, sur la rive gauche du cours d’eau, j’abats |:)ar erreur un oryx femelle, dont les mamelles gonflées me donnent deux verres d’un lait délicieux. A la tombée de la nuit, comme je venais de tuer un zèbre et d’en blesser un autre, mon cheval, mû sans doute ])ar les souvenirs 87 — historiques que rappelle la date du jour, fait un petit coup d’état de sa façon. Attaché par le seïs Aden à un arbuste, il part au galop, entraînant l’arbuste après lui : Aden vole à sa poursuite ; mais effrayé par les détonations, le cheval ne tarde pas à disj)araître. La nuit survenant, nous chargeons force viande sur deux chameaux et regagnons le camp dont un grand feu nous indique l’emplacement. Le lendemain, je j)oursuis et tue le zèbre blessé la veille. Nous continuons notre route avec le cheval re- trouvé et le soir nous campons au confluent du Saloul et du Daghatto. C’est là que fut tué, en 1883, l’explo- rateur Pietro Sacconi ; nous avons rencontré plus tard des Somalis Melen-Gour qui nous ont confirmé le fait. Ils ont même ajouté que c’étaient des gens de leur tribu qui l’ont assassiné. « On ne peut pas nous blâmer (( ])our cela,)) ont-ils dit, «cet homme n’avait qu’une « faible escorte ; nous n’aurions jamais attaqué un « voyageur accompagné d’une grande caravane ; )) c’est très édifiant. Le 4 décembre je passe à l’endroit où le comte Gou- denhove, à l’affût derrière réléj)hant tué par son com- pagnon, le comte Hoyos, tua quatre lions en une nuit. Je retrouve le squelette du pachyderme et la zériba, à l’abri de laquelle les lions ont été tirés. Douali, qui a assisté à cette chasse mémorable me la raconte par le menu, tout réjoui de revoir l’endroit où il a j)assé une nuit si intéressante et gagné un bien gros backschich. Le Daghatto a beaucoup d’eau en ces parages; il coule lentement entre deux rangées d’énormes roseaux. Sur les deux rives, de grands arbres aux formes capri- — 88 — cieuses laissent j)eiKlre toute une chevelure de lianes jus(ju’au sol, convei t de buissons éj)ineux d’où ])artent à eluujue pas des compagnies de j)erdrix, avec un grajul froissement d’ailes; dans le limon mille traces de fauves et d’antilo])es. Mes shikaris attrapj)ent à la main un petit dik-dik embarrassé dans une touffe d’berbe; après avoir admiré et caressé ce charmant (( chevreuil en miniature, » je le relâche ; il part comme une llèclie en faisant des bonds prodigieux. — Mon père rentre avec la dépouille d’un oryx. Le 5, suite de la descente du Daghatto, dans la ma- tinée ; je tue un grand zèbre en j)leine course; raj)rès- midi nous disons adieu au Daghatto et montons sur les ])lateaux en nous dirigeant vers le Sud ; le plateau où nous nous engageons est immense; il s’étend d’un côté depuis les Monts Khodjar et Djigo jusqu’au Mont Kaldech, de l’autre depuis le Daghatto jusqu’aux Monts Dourdour. Ln (juittant le Daghatto je m’égare, déj^asse la cara- vane, tourne en cercle sans la découvrir et finalement m’a]:)j)rète à passer la nuit dehors. Je fais allumer un feu ; je m’étends sur le sol avec la selle de mon cheval j)Our couverture, et je |)rends une grosse pierre (*omme oreiller: j’essaie de dormir; mais l’installation est dé- cidément trop peu confortal)le, je me lève et me mets à écouter les récits de Douali, aussi intéressants que j)eu rassurants.' Il me raconte que nous sommes juste à l’endroit où deux Somalis et un Ahvssin ont été cro- (piés par un lion, l’année dernière : égarés loin de leur caravane, ils avaient j)assé la nuit sans zériha et mal leur en avait pris. Cette petite histoire jette un froid; UN CROCODILE TUE PAR MON PÈRE H;-î. V. 'V ï. \ 3 1 / A ■^■Xi — 91 — mais par bonheur, comme pour le ponctuer d’un beau ])oint à la ligne, nous entendons alors la détonation de la grosse carabine de mon père ; guidés par elle, nous rentrons au camp assez tard dans la nuit après avoir laissé une bonne partie de nos vêtements aux buissons épineux que l’obscurité nous empêchait d’éviter. Mon père commençait à être très inquiet et mon arrivée lui cause un plaisir sensible. K,' :î‘ • > l CHAPITRE VI BOURRA LES MONTS DJIGO ET KALDECH Les monts Khodjar. — Mon père manque un lion par la faute de son shikari. — La rivière Bohoiodimou. — Deux rhinocéros ratés. — La contrepartie : un doublé de rhinocéros. — Mon père tue quatre zèbres. — Je pénètre dans les monts Djigo. — Ascension du Mont « Roi Charles L‘’. » — Encore un rhinocéros. — Charge d’un éléphant furieux. — Une belle chasse : quatre éléphants en un jour. — Le campement sous le Mont Kaldech. Le () décembre, dans le lointain, j)ointe, vers le Sud, une montagne isolée, au sommet plat, émergeant d’un océan de verdure, c’est le Mont Kaldech, nous dit-on : il est encore à plusieurs journées de marche d’ici et paraît encore assez élevé. A notre gauche ondule une longue chaîne de montagnes, celle de Khodjar faisant place, |)lus au Sud, à celle des monts Djigo. Tandis que j’assiste au dépeçage d’un zèbre et de deux aouls que je viens de faire |)asser de vie à tréjjas, mon père arrive avec ses trois fidèles, les shikaris Géli et Aden, et le seïs, Osman le bossu : il a trouvé les un traces fraîches de lions attablés naguère devant jeune oryx à moitié dévoré, et suit celles du plus gros. A l’heure du déjeuner, il rejoint la caravane dans un état d’exaspération facile à com|)rendre. Il a vu sortir d’un fourré un suj)erhe lion, orné d’une grosse crinière noire, le vrai lion classique. L’animal s’est arrêté à trente pas de lui, j)résentant le liane. Mon père vise soigneusement avec son express de 1 1 mm., qui a déjà abattu bien des ours en Europe. Il va |)resser la détente, quand Géli lui arrache la carabine des mains, la jugeant de trop petit calibre j)Our une si grosse bête. Il remet à mon père la carabine calibre 10 ; mais durant cet échange d’armes, d’un bond prodigieux le lion a dis- paru dans les broussailles ; et c’est en vain qu’on essaye de le retrouver. Géli, qui s’est comporté en parfait imbécile est conspué par toute l’escorte et Douali, son rival, ne cesse pas de se moquer de lui toute la soirée. Continuant notre marche vers le Sud, nous laissons en arrière les Monts Khodjar pour suivre les Djigos, chaîne rocailleuse abruj:)te, qui, de loin, à l’œil nu, paraît dé|:)ouillée de toute végétation, mais laisse devi- ner à la lorgnette plusieurs espèces de buissons bas et quelques pentes gazonnées très vertes. A une plus grande distance, dans la direction du ébi, les |)la- teaux verdoyants ondulent à l’infini et l’on soup- çonne à ])eine, à certains plis de terrain seulement, la présence des importantes vallées où coulent les affluents du « lleuve des Léopards, » le Dagbatto, le Gansalé, le Biabamedou et le Bobolodimou. Au delà du Bobolodimou se dresse, solitaire, la masse inqx)- santé du Mont Kaldech, vers lequel nous nous avançons. Vers rOuest, à notre droite, nous distinguons plusieurs rangées de hautes montagnes, en pays inconnu, au delà du Wébi, plus loin que Imi, sur le territoire desGallas. Nous remarquons surtout un sommet plus élevé que les autres ; il a la forme d’un obélisque géant ; les Somalis raj)])ellent le Logoum-Ass. Durant la marche, je tombe inopinément sur mon père, dans la forêt, et Géli nous met en joue croyant avoir affaire à ces Gallas dont nous avons trouvé les traces. Le soir, campant près de la rivière Boholodimou, nous voyons qu’autour de nous le sol est littéralement ])iétiné par les rhinocéros, ce qui nous promet une belle chasse pour le lendemain. Au point du jour je commence à suivre une piste fraîche et m’engage dans un étroit couloir j^ratiqué par le rhinocéros lui-même au milieu d’un épais fourré de buis- sons épineux. A ])eine ai-je fait quelque pas, que j’en- tends renifler l’animal tout près de moi ; un bruit de bran- ches cassées m’apprend qu’il détale ; je ne parviens pas à l’apercevoir ; heureusement, peut-être, car dans l’abo- minable impasse que forment deux murailles d’épines, j’aurais eu peu de chances d’échapper à un rhinocéros blessé. En courant après lui, je le fais lever encore une fois, mais de nouveau dans un épais taillis où je ne puis rien voir. J’entreprends alors de suivre les traces de deux rhinocéros, probablement une femelle et son ])etit presque adulte. Le vent souffle du mauvais côté : ils prennent la fuite à notre aj)])roche ; je les retrouve galopant dans une clairière, tire sur l’un d’eux et le — 9(; nianfjue, ayant peine à suivre avec le guidon de ma lourde carabine, le train étonnamment raj)ide de ces grosses bêtes. Je eontiniie la poursuite et ces deux animaux ont ramabilité de j)asser près du camp pour me permettre d’y avaler en einc[ minutes mon déjeu- ner. Vers le soir seulement je les rencontre, oeeuj)és à gravir une pente dénudée à cent j)as de nous environ. Je tire sur le |)lus gros ; il tombe, se relève aussitôt, exécute c[uek[ues tours de valse, fait mine de charger, mais, tandis que je glisse deux nouvelles cartouches dans ma carabine, se ravise et détale à la suite de son compagnon ; beaucoup de sang marque leur piste, mais nous hnissons par la perdre en un terrain dur et (‘ompaet. Je rentre furieux, à la tombée de la nuit; (diemin faisant, je fournis la cuisine d’un peu de ])etit gibier; car la chère ne vaut j^lus grand’chose ; après avoir vécu ])endant une huitaine avec de la viande de zèbre, nous en sommes réduits aux conserves dej)uis deux jours. C’est là un des mauvais côtés de la grande chasse; on n’ose j)as tirer le j)etit gibier de peur d’ef- frayer le gros par des détonations intemj)estives. Le 10 cléeembre, ])our racheter mes insuccès de la veille, j’ai la chance inespérée de faire un doublé de rhinocéros. Je trouve, le matin, des traces fraîches de deux de ces animaux, un vieux et un jeune, nous les sui- vons ])endant plus de deux heures en décrivant un cercle (pii nous ramène à notre point de départ. Comme le pied d’un des rhinocéros se trouve imprimé sur ma proj^ire trace, il n’y a j)as de doute, ils ont passé en cet endroit tout récemment et nous pouvons nous attendre à les LE SECOND ELEPHANT TUE PAR . 'î . . — 97 — rencontrer criin moment à Taiitre. En effet, ramj)ant à travers un é])ais fourré, j’entends marcher avec un grand bruit de branches cassées, une lourde bète à côté de moi. Je me couche à ])lat-ventre j)our mieux voir à travers les buissons ; mais à ])eine me suis-je mis en cette ])Osture humiliée, que je distingue à cinq ])as un des rhinocéros; il me contemple, cornes baissées; l’animal me voit, c’est certain; |)as moyen de tirer, avec cela ; car si je le blesse je suis sur d’avoir ses cornes dans le corps avant meme de pouvoir esquisser un mouvement pour me relever. Heureusement je ne sais quelle idée j)asse dans sa cervelle de bête archi- stupide; il se retourne et au moment où il fait mine de s’en aller, je le gratifie d’une balle au côté. 11 dispa- raît ; nous le suivons sans peine, grâce au sang qui coule à flots de sa blessure. Au bout de dix minutes, je le trouve arrêté dans une clairière, encore debout, mais inca])able d’avancer davantage ; un dernier coup l’abat raide mort. Au moment où je me dirige vers lui, apparaît le jeune rhinocéros, qui, à ma vue, baisse les cornes et fond sur moi ; je n’ai que le temps de sauter derrière un arbre pour éviter sa charge furieuse, et lorsqu’il se retourne pour recommencer l’attaque, ar- rachant !’(( ex|)ress » des mains de Douali qui ne m’a pas quitté, je lui envoie une balle dure au défaut de l’épaule ; cela suffit à le faire passer dans l’autre monde, après une culbute, les quatre fers en l’air ; plus petit que l’autre, il a cependant la taille d’un bœuf de deux ans. En arrivant au camp, je trouve mon père en train de contempler d’un œil attendri la dépouille de quatre zèbres. 11 en a rencontré tout un troupeau, a tué coup 7 1)(S — sui- c*()Uj) les quatie ([iie voilà, et s’est eoinplètement dégoûté de cette chasse peu intéi*essaute. Nos Somalis par contre sont dans la joie; les zèbres ont disparu dans leurs vastes estomacs, au repas du soir. Coninie nous campons assez j)rès des Monts Djigo, je décide d’aller explorer ces sommets que nul Euro- péen n’a encore gravis. J^e 1 l décembre je commence de bon matin, avec Douali et Ilousseïn, l’escalade du j)lus haut pic qui se dresse juste en face de nous. En tés ces coquins de shikaris ([ui ont su découvrir tout de suite le bon endroit pour se mettre à l’abri. 10^1 — A ce moment-là je constate cjue j’ai encore ma cara- bine en main et (jiie le canon gauche n’était pas dé- (‘hargé; j’aurais très bien j)u tirer sur rélé])liant (juand il allait me saisir. Décidément j’ai ])erdu la tète, je m’attendais si peu à cette furieuse poursuite dej^uis le bénévole éléphant du Daghatto ! L’animal blessé est toujours arrêté à l’endroit où il m’a perdu de vue; il continue à barrir, .le sors du ravin, et grimpé sur une fourmilière, je le vois à deux ou trois cents pas de nous. Le seïs me remet ma carabine l^ee-Metford à répétition et je vide mon magasin sur l’éléphant qui reste à la même place, mais commence à chanceler. Ses cris deviennent de plus en plus |)laintifs; il vacille sur ses jaml)es et finit par tomber sur le flanc avec un bruit de tonnerre ; il est mort ; je suis vengé. En arrivant ])rès de lui, nous constatons (fue ce n’est |)as l’éléphant ([ue j’ai tiré au début de la chasse, mais bien une vieille femelle que ses fortes défenses m’avaient fait prendre pour un mâle. .le retourne alors à l’endroit où j’ai tiré sur le pre- mier éléphant; ses traces sont aspergées de sang, mais au bout de quelques ])as, l’hémorrhagie cesse; la bête a dû boucher la blessure avec de la terre et à partir de ce moment, sa piste se confond avec celle de ses com- pagnons. Mon père survient bientôt; il s’est hâté d’accourir dans la crainte qu’il ne me soit arrivé un accident, car il a entendu et aperçu de loin les éléphants. M’ayant retrouvé intact, il |)art à la poursuite delà bande, et, suivi de ses shikaris, dis])araît dans les l)uissons. J’essaie de le suivre, mais troj) fatigué ])our continuer, je LE RUCHE K DES SEPT VOLEURS A MANDEIRA — 107 — m’arrête au bout de cent ])as. Sur ces entrefaites la cara- vane apparaît; on établit le campement; tandis que je déjeune, plusieurs détonations retentissent dans la direction prise j)ar mon père, signe certain de sa ren- contre avec les pacliydermes. Vers cinq heures, des hommes envoyés en ])atrouille viennent m’annoncer la présence de différents groupes d’éléphants dont un troupeau entr’autres n’est qu’à cinq cents mètres du cani]). Un vieux mâle de la bande, disent-ils, pourrait bien être celui que j’ai bombardé dans la matinée; sui- vant leurs indications je pars en campagne ; en arrivant au bord d’un ravin, je vois sur le versant apposé le dos d’un éléj)bant serti dans un amas de verdure. Je des- cends dans le fossé, mais a])rès avoir gravi l’autre talus j’ai beau écarquiller les yeux, il n’y a plus rien; par contre, derrière nous de violents craquements reten- tissent; trois éléphants femelles sortent du ravin, chacune suivie de son petit; elles ])assent tout près et me voient, mais elles ne font qu’allonger le pas, sans galoper, ]30ur permettre à leurs bébés de les suivre; cette sollicitude me touche et je me garde bien de tirer sur des familles aussi unies. Déjà j’ai abaissé mon fusil quand une paire de belles défenses blanches, dont un superbe mâle est le propiétaire, surgissent soudain du ravin. Je tire presque en même temps les deux cou])s de feux dont je dis|)ose et tous deux portent juste. Une des balles frap])e l’animal au cou, l’autre au défaut de l’épaule ; il tombe avec fracas, en faisant mille efforts pour se relever. Je recharge et tire encore pour l’ache- ver. Il se remet sur ses |)ieds et marche sur moi. Je ne me le fais pas dire deux fois, et décampe comme si 108 — le diable était à mes trousses; mais la blessure est mor- telle; il chaucelle et tomlje de nouveau, brisant dans sa chute Tune de ses belles défenses. Je m’assieds sai- son cadavre et regarde le beau coucher du soleil qui disparaît peu à peu derrière les montagnes du pays Galla. Une détonation suivie de lointains barrits m’annonce que mon père n’a pas encore fini sa chasse, ce qui m’inquiète beaucoup. L’obscurité efface les contours des choses, la nuit se fait, je rentre au camp. Mon père y rentre bientôt tout joyeux ; il a tué deux éléphants milles, tous deux porteurs de grandes défenses. Le jiremier l’a chargé à plusieurs reprises, mais chaque fois il a réussi à se défiler derrière des buissons jirotec- teurs ; le second éléphant est tombé foudroyé à la première balle. La matinée du lendemain est consacrée à la photo- graphie de nos victimes de la veille, et à l’extraction des défenses. L’ajirès-midi nous allons à la chasse, mais au bout de dix minutes je m’étends au pied d’un arbre pour dormir jusqu’au soir d’une seule traite. A dîner j’inter- roge mon père sur l’emploi de son après-midi ; il m'a- voue qu’il a fait tout comme moi. Après les émotions de la veille c’est très compréhensible. Nous restons encore un jour sur les lieux, dans l’es- ]:)oir que des lions viendront rôder autour des éléphants tués, mais n’en trouvant aucune trace, nous décidons le départ pour deux heures. Malheureusement un de nos chameaux s’est égai-é : il faut envoyer des hommes à sa recherche. Ils reviennent avec le soir ; ils ont trou- 109 — vé la bête, morte au fond d’un précipice, où elle avait ilù tomber, la nuit passée ; ils rapportent un pied du défunt pour prouver leurs dires. Cet accident est très ennuyeux ; tout chameau mort représente un surcroît de charge pour ses camarades, qui ont déjà beaucoup à porter. Le départ, a])rès cela, est irrévocablement fixé au lendemain ; il est devenu impossible de supporter plus longtem])s le voisinage des éléphants tués. â \ . » CHAPITRE VII LE FLEUVE DES LÉOPARDS Les Monts Dourdour. — CliaSse au Koudou. — Douali s’empoisonne avec le latex d’une euphoi'be. — Les Somalis-Géleïmis. — Le Wébi- Chébéli. — Sen-Moretou. — Les crocodiles. — Le Kobe à croissant ou Waterbuck. — La grande forêt du Wébi. — Tir à la cible. — A la recherche d’un gué. — La passage du fleuve. — Ma seconde lionne. Le 15 décembre, levant le camp du mont Kaldech, nous nous dirigeons à marches forcées vers le défdé de Dourdour-Goubané, dans les Monts Dourdour ; nous y sommes le 17. Sur la foi de nos guides qui nous affir- ment la présence d’une foule de koudous de la grande espèce sur les sommets voisins, nous partons en toute hâte à la recherche de ces splendides antilopes. Après une ascension fatigante, je parviens à prendre pied sur un haut plateau couvert d’une végétation curieuse : comjTosée d’euphorbes et d’une espèce d’arbre bizarre, dont le tronc en forme de boule a jusqu’à un mètre cinquante de diamètre. De ce gigantesque oignon sor- tent de petites branches frôles avec de petites feuilles 1 — lancéolées. Je fais lever un vieux koudou mâle, mais il disparaît dans un fourré avant que j’aie eu le temps de tirer. Un quart d’heure après, je le retrouve trottinant au fond d’un ravin ; il n’échappe ])as cette fois, quoiqu’il soit à ])lus de deux cents mètres ; un coup de fusil le fait tomber raide. En un clin d’œil, je dégringole jusqu’à lui et je soulève ses belles cornes en spirale, les j)lus grandes que j’aie vues. Nous le décapitons, ffous- seïn charge la bête sur ses éj)aules et nous recommen- çons la descente. A peine en marche, Douali nous arrête, se retourne vivement, me met la carabine en main, et montre de son bras étendu trois koudous, qui gravissent une pente à neufs cents ])ieds de nous. Il y a deux femelles mais aussi un beau male ; je tire sur ce dernier, qui se cabre, fait plusieurs écarts à droite et à gauche, puis disparaît ])armi les rochers; nous trouvons du sang sur la ])iste ; mais la nuit survenue remet nos investigations au lendemain. La descente ne s’effectue pas sans accroc, nous rentrons très tard au camp, meurtris, affamés, et éreintés. La tète du koudou pro- vofpie l’admiration générale ; nos gens sont unanimes à déclarer qu’ils n’ont jamais vu une aussi belle pièce. Le lendemain est consacré ])ar moi à la recherche du koudou blessé, le sol rocailleux ne vaut rien pour les |)istes, et c’est tout à fait au hasard (jiie j’erre dans le paysage fantastique que font les rochers noirs et les oignons géants du sommet. Vers cpiatre heures nous redescendons. A mi-côté Douali et uu chamelier trou- vent bon d’a])aiser leur soif avec le lait d’uue euphorbe arborescente, d’une es|)èce à eux inconnue. Cinq minu- tes après, ils se roulent sur le sol, saisis d'abominables MON TROISIEME ELEPHANT * ç- convulsions, criant que le diable les emporte, qu’un serpent leur a mordu Tintérieur, qu’ils vont mourir etc Au bout d’un quart d’heure, la crise cesse, ils peuvent se remettre en marche ; mais ce n’est qu’un répit et la scène recommence de nouveau, llousseïn va chercher de l’eau au bas de la montagne et ils se sen- tent mieux après avoir bu, je les laisse là, rentre au camp et leur envoie aussitôt une bonne dose d’ipéca- cuana qui fait merveille. Dorénavant chaque fois que Géli ou Housseïn voient une euphorbe, ils se mettent à crier : « Douali ! Douali ! voici ta vache, veux-tu boire un verre de lait frais ? » Le 19 décembre nous traversons le défilé pour déboucher dans la plaine qui descend en pente très douce vers le Wébi ; vers le soir nous passons le Daoua- did, affluent de ce fleuve, et la provision d’eau y est renouvelée. A mesure que nous nous rapprochons du Wébi, la température devient de plus en plus chaude ; et de nouveau je dois rouvrir à tout instant la caisse aux médicaments pour distribuer de fortes quantités de quinine aux hommes atteints de la fièvre. Notre marche devient très difficile, à chacpie moment il faut traverser des torrents désséchés. Le gibier, devenu rare, ne consiste plus qu’en gérénouks et en dik-diks. Le 20 décembre nous atteignons un campement de Somalis Géléïmis qui prennent la fuite à notre appro- che, croyant avoir affaire à des pillards abyssins. Leur erreur une fois reconnue, ils viennent en masse à notre caravane, et ne tardent pas à fraterniser avec l’escorte. Depuis un mois, ce sont les premiers indigènes que 8 nous rencontrons, rimincnse pays de l^ourka étant complètement inliabité. Nous achetons des moutons à nos hommes, et toute la nuit leur joie se manifeste par des vociférations que tous nos efforts ne parviennent pas à faire cesser. Aussi le lendemain, après les avoir tous rassemblés, nous leurs annonçons qu’à la prochaine nuit blanche, les noms des perturbateurs seront inscrits en toutes lettres dans notre carnet. Epouvantés par la perspective de cet affreux châtiment, ils jurent par Allah et Mahomet qu’ils seront sages désormais. Le 21, nous apercevons enfin la bande sombre de la foret qui borde le Wébi-Ghébéli. Tout le monde est impatient d’arriver sur les bords du fleuve ; aussi la halte de midi est-elle de courte durée, vers une heure de ra])rès-midi nous débouchons dans la vallée, après la traversée d’une ])laine couverte de hautes herbes jaunes, le but est enfin atteint à deux heures. Nous voilà sur les bords du « Fleuve des Léopards » (en somali ^A^ébi-Chébéli), découvertpar l’anglais James, qui fut plus tard tué par un éléphant sur la côte du Gabon, par une triste coïncidence, le Prince Eugène Huspoli qui avait aussi passé le ^A^ébi (à Imi), et cons- ciencieusement exploré le pays des Gallas, fut égale- ment tué par un éléphant blessé. Peu d’IAiropéens ont traversé le fleuve Gliébéli ; ce sont le colonel Paget et Lord Wolverton (à Barri), les capitaines Bottego et Grixoni (au N. de Imi), enfin Donaldson Smith, le caj)i- taine Swayne et les comtes Iloyos et Goudenhove (à l’endroit où nous sommes, qui s’appelle Sen-Moretou). Sen-Moretou est un village de Géléïmis, situé sur la rive gauche et entouré de plantations de sorgho. Toute la population est sur pied, soit pour nous recevoir, soit pour chasser les sauterelles qui passent en épais nuages au-dessus de nous, cherchant un endroit mal surveillé pour s’y abattre et dévorer en un clin d’œil la récolte de ces malheureux riverains. Le fleuve a ici de cent à cent cinquante mètres de largeur, et paraît profond, l’eau est trouble, le courant peu rapide, les bords en général escar])és, là où la pente est douce, de nombreux crocodiles de toutes les dimensions, sont étendus au soleil la bouche ouverte, dormant d’un sommeil très léger, car au moindre bruit ils rampent jusqu’à la rivière et y plongent sans bruit. Ils font de terribles ravages dans les troupeaux qui viennent s’abreuver. Bien des indigènes pâtissent aussi; on m’en a montré plusieurs manchots ou estropiés, à la suite des morsures reçues en se baignant. Les forêts vierges qui bordent l’eau offrent un ma- gnifique spectacle, elles sont principalement compo- sées de casuarinas au feuillage argenté couvert de lianes, et de palmiers de l’espèce des pandanus, aux belles feuilles en éventail foncées et luisantes. Des milliers d’oiseaux voltigent et chantent dans les taillis, de longues files de petits singes grimpent sur les arbres, les uns après les autres, ou descendent boire l’eau du fleuve, avec des contorsions amusantes et d’infinies j)récautions pour ne pas devenir la proie des crocodiles aux aguets. Notre campement est établi dans une prairie, à deux kilomètres du ^^^ébi, afin d’en éviter les émanations fiévreuses. IjC lendemain, je prends une ligne, vais pêcher, et grâce à de bonnes amorces de viande d’aoul, attrape rapidement quatre poissons dont la longueur varie de 35 à 90 centimètres. En rentrant, je trouve les traces fraîches d’un couple de lions, j’annonce le fait à mon père c[ui part aussitôt avec Géli pour se mettre à l’affût. L’après-midi je vais rôder dans la forêt où j’ai la chance d’abattre mon premier kobe (waterbuck), belle antilope aux cornes recourbées en avant, qui fréquente le voisinage des fleuves ; nous n’en avons pas rencon- tré jusqu’ici ; je le tue au sortir d’un champ de sorgho qu’il avait, paraît-il, la coutume de visiter tous les soirs. Pendant les trois jours que nous passons à Sen- Moretou, mon père va chaque soir à l’affût au lion, mais s’il les entend grogner dans le voisinage, il ne ])arvient pas à les apercevoir. Pour ma part ce sont les kobes que je poursuis, j’en blesse deux sans pouvoir les retrouver. Nous tirons souvent sur des crocodiles, qui, par malheur, même atteints mortellement, ont presque toujours le temps de sauter à l’eau et sont perdus pour nous. Cependant, à la longue, nous arrivons à en tuer quatre. L’un d’entre eux, de belle taille, il a trois mètres 53, touché par mon père est tombé dans le fleuve, et est repêché par des Somalis montés sur un radeau. La joie des Géléïmis qui contemplent notre chasse, fait plaisir à voir. Pour eux le crocodile est un ennemi d’autant plus exécré qu’il est impuni ; nous aurions repoussé une invasion de Gallas ou d’Abyssins qu’ils n’eussent pas été plus contents. Les gens de notre escorte qui, ])endant tout le - 117 — voyage, n’ont cessé de nous déj)eindre les nombreux dangers qui nous attendaient sur les bords du ^^"ébi : fièvres, moustiques, indigènes, obstacles naturels, que sais-je ! reviennent sur leurs appréciations et déclarent que Sen-Moretou est un séjour délicieux. Un chameau gras que nous leur offrons contribue beaucoup à ce changement d’idées. La grande question pour nous est le passage sur l’autre rive. S’il n’y avait que les hommes, les Géléïmis auraient vite fait de nous transborder avec leurs petits radeaux ; mais pour les chameaux, l’opération deman- derait des journées d’efforts. Le fleuve est trop profond pour être passé à gué. Quelquefois quand les pluies d’automne ont été peu abondantes, on peut le traverser avec de l’eau jusqu’à mi-corps seulement, à Sen- Moretou ; c’est ce que fit le comte Hoyos ; mais le ^A"ébi avait un étiage aussi bas que possible, cette année-là. Nous envoyons un de nos hommes au Nord vers Karanleh afin de savoir si le gué y est praticable. Par la même occasion nous faisons savoir aux habitants de Karanleh qu’ils doivent restituer quatre vaches volées par eux aux gens de Sen-Moretou. Le même soir notre messager revient avec les quatre vaches, mais porteur de mauvaises nouvelles au sujet du gué, malheureusement impossible à passer. Nous décidons alors de descendre le fleuve, afin de chercher en aval un gué qui puisse nous convenir. Avant de partir nous organisons un tir à la cil)le avec des primes pour les bons tireurs : c’est le cuisinier Goureh qui remporte le premier prix, au grand désespoir des shikaris qui se croyaient surs de l’attraper. 118 — Le 25 décembre nous longeons le Wébi, toujours à la recherche du passage que nous ne trouvons pas ce jour-là ; nous atteignons un affluent du fleuve, impor- tant pendant la saison des ])luies, et à sec en hiver, le Madesso. Le 26, Tintrouvable gué est enfin découvert, nous nous dirigeons vers lui. Tout en marchant j’abats successivement un oryx et six gazella Scemmeringi. Cette montagne de venaison est chargée sur les cha- meaux, le même soir notre escorte accomplit le tour de force de tout avaler y compris un chameau gras que les Géléïmis nous ont vendu. Après cette orgie les indigestions ne se comptent plus ; l’huile de ricin sauve seule la situation. Le passage du Ghébéli n’est rien moins que facile. L’eau est encore profonde, elle arrive à la poitrine des chameaux qui à différentes reprises, refusent d’avancer. Un crocodile vient se mêler à la caravane il est chassé à coups de fusil et de bâton. Enfin le campement est établi sur l’autre rive, les effets mouillés sèchent au soleil. Nous partons en chasse l’après-midi, mon père tue un kobe. Pour la première fois nous trouvons les traces d’un buffle sauvage, animal qui ne se rencontre pas sur la rive gauche du Wébi, en rentrant j’aperçois au bord de l’eau, faisant les pitres, de très nombreux babouins sans crinières, esj^èce également nouvelle pour nous. Le 27, après avoir abandonné le fleuve, la marche reprend vers le sud, au hasard, à travers un ]:>ays inconnu. Notre but est d’atteindre un village quelcon- que de Somalis-Aulihans où nous engagerons des gui- — 119 — des pour nous conduire à la frontière des Aroussi- Gallas ; de ce côté il y a, en effet, quelque chance de rencontrer des girafes. Après avoir erré assez long- temps dans la forêt, je m’apprête à rejoindre la cara- vane, quand un nuage de poussière au-dessus de buissons épineux attire mon attention, « Il y a là une grosse bête » me dit Douali. Nous y courons et à ma grande surprise, je vois un kobe, se traînant pénible- ment à l’aide de ses jambes de devant, celles de der- rière pendent inertes ; sans prendre le temps de réflé- chir je l’ai tiré et tué. En arrivant près de lui, je découvre qu’il a les cuisses déchirées et les reins brisés par la griffe d’un lion. L’assassin ne doit pas être loin, mais il s’est sûrement mis à l’abri en entendant la détonation ; nous cherchons autour de nous, et n’avons pas de peine à reconnaître bientôt les emprein- tes qu’ont laissées en passant un grand lion, une lionne et un lionceau presque adulte, malheureu- sement la piste est perdue au bout d’un certain temps, bien que j’aie entrevu le jeune lion bondissant dans les fourrés. Je reviens près du cadavre du kobe, et me cache avec Douali dans un taillis à dix mètres de là. Je renvoie Housseïn et le seïs pour que le nombre des chasseurs n’effraye pas le lion ou ne lui donne l’éveil. Pendant quelques minutes j’observe les alentours avec attention, puis, très fatigué, je m’étends sur le sol et m’endors aussitôt. Quand je me réveille, Douali est en train de me secouer d’une main, tandis que de l’autre il me ferme la bouche pour m’empêcher de parler je comprends qu’il se passe quelque chose près du kobe, je me dresse à genoux en faisant craquer les — 120 -- l)raiiclies le moins possible, et je vois une grande lionne assise derrière le cadavre de l’antilope, elle regarde fixement notre buisson chereliant à se rendre eomj:)tc de ce qu’il y a de l’autre côté. Je lève avec la |)lus gra nde lenteur ma caral)ine, elle reste immobile, mais son regard ne me quitte j)lus ; je tire, atteinte à la base du cou, elle tombe en se débattant, remuée par de terribles soubresauts ; je tire encore et l’achève. Mon ])ère, arrivé sur les lieux, photograj)hie la lionne et la tête de l’antiloj^e que les sliikaris ont déjà malheu- reusement dépouillée ; j)uis il fait construire à l’endroit même une zériba et passe la nuit à l’allùt. Le grand lion vient et rôde autour de lui, mais pas assez près ])our qu’il soit possible de le voir. En revenant au camp je rencontre un kobe, que je tue à 283 pas, couj) hasar- deux dont la réussite me met en joie. La chance m’a favorisée ces derniers temps. En trois jours j’ai tué une lionne, deux kobes, sept aoul et un oryx. Mon père à tué coup sur coup trois koudous de la petite espèce, gibier rare, difficile à approcher et à tirer. UN DOUBLET DE SANGLIER CHAPITRE VIII AU PAYS DES GIRAFES Chez les Aulihans. — Dour-Elamé. — Mort du ehel des Aulihans. — Je lue un léopard. — La rivière du « Prince Ferdinand. » — Halte dans une grotte. — A la frontière Galla. — Manque d’eau. — Rencontre de Gallas. — Nous tuons une girafe. — Une superstition Somalie, — La mouche tsétsé. — Retour au Wébi. — Un enfant abandonné. Le 28 décembre après avoir rencontré deux jeunes guerriers Aulihans qui passent assez vite de Tétonne- ment à la sympathie pour nous, nous atteignons vers le soir, guidés par eux, le village de Dour-Etamé. Toute la population vient au devant de nous et les salamaleks n’en finissent plus. La provision de beurre clarifié, indispensable à la confection du riz de notre escorte est aussitôt renouvelée, notre départ pour le pays des girafes est fixé au lendemain ; mais le grand chef de cette tribu des Aulihans meurt subitement sur ces entrefaites, une indigestion est la cause probable de ce décès ; cela semble la mort naturelle des Somalis. Nos guides nous déclarent qu’ils ne peuvent manquer aux funérailles et surtout au grand festin final sans faillir à toutes les convenances comme à toutes les traditions. Uemettant donc notre départ crun jour, nous allons assister à l’enterrement solennel du bonhomme. La cérémonie est très simple. Aj)rès la récitation de (pielques versets du Coran, on creuse deux trous en terre, distants l un de l’autre d’environ trois mètres, on les fait communiquer par une galerie souterraine où l’on vient dé|)oser le cadavre, sans cercueil, enve- loppé dans lin drap blanc la face tournée du côté de la Mecque. On comble les deux trous avec des cailloux et l’on ])lace deux grosses jiierres sur le tombeau, la j)lus grande à la tête et la j)lus ])etite aux pieds du mort. La piété commandera aux j)assants de lancer une pierre sur le dit tombeau. L’inhumation terminée, pendant que les assistants songent au repas funèbre, nous allons à la chasse ; mon ])ère abat trois oryx dans le courant de la journée ; cet arrivage de victuailles est acceuilli avec enthousiasme et mangé, dévoré, englouti en compagnie de nombreux bols de lait que les femmes Aulihans apj)ortent au campement. Le soir un de nos hommes, un Somali- Midgan, (les Midgans forment une caste à part qui vit de la chasse et de l’élevage des autruches et que les Somalis regardent comme inférieure), exécute la danse de l’autruche et sait obtenir un très grand succès. Il imite par ses gestes tous les mouvements du mâle qui se pavane devant la femelle, laissant pendre jusqu’à terre les plis de sa toge, il mime en lui donnant d’adroites secousses, le liattement des ailes de l’oi- seau. Le )U), nous quittons enfin Dour-Ltamé jxnir marcher 125 vers le sud-ouest, un quart d’heure plus tard, après avoir manqué un gérénouk, revenant vers la caravane qui continue sa route en faisant un tapage infernal, j’aperçois un léopard, qui, réveillé d’un bon sommeil au bord du sentier par le vacarme effroyable de nos gens, détale vers moi en faisant des bonds énormes, je le tire pour ainsi dire au vol, il roule dans les touffes d’berbe jaune, très haute, où je ne m’aventure qu’avec précaution, car un léopard blessé n’est pas un adver- saire à dédaigner ; malgré ma prudence, je lui marche j)resque dessus et fais un bond en arrière, j)ar bonheur il est mort, chose assez curieuse, car je ne l’ai touché qu’à la partie supérieure d’une de ses jambes de devant, il est vrai que la balle étant explosible un des éclats a du pénétrer dans le corps, y opérant une lésion mortelle. Ce léopard est borgne, les Aulihans nous racontent que c’est un guerrier de leur tribu qui lui a crevé l’œil d’un coup de sagaie, une nuit où le fauve avait tenté de s’introduire dans le village de Dour-Etamé. L’après-midi nous traversons une rivière que les indigènes appellent Labansalé et à laquelle nous don- nons le nom de « Rivière du Prince Ferdinand. » Nous y renouvelons notre provision d’eau ; mais elle est tellement alunifère qu’elle est exécrable, comme toute celle du pays Aulihan : nous réservons pour notre usage personnel une barrique d’eau du Wébi. La rivière coule entre deux parois d’albàtre veiné de noir, qui donnent à la vallée l’allure d’un canon de l’Amérique du Nord. La nuit nous construisons une zériba plus forte que d’habitude et doublons le nombre des sentinelles; nous touchons de nouveau à la fron- tière Galla; dans le courant de la journée, nous avons plusieurs fois trouvé des traces d’indigènes, reconnais- sables à l’empreinte de l’extrémité des sandales, plus pointue que chez les Somalis. Le 31 décembre dans notre marche vers le sud-ouest, nous faisons halte vers dix heures devant une belle grotte d’albâtre, aux belles lames translucides que font ressortir des bandes plus foncées ; à l’entrée se trouve un petit étang qui sent sa fièvre à deux lieues ; malgré nos avertissements, les Somalis s’y plongent et boi- vent à grands traits ; dans la soirée, le tiers de l’escorte est malade et je dois distribuer largement de formida- bles doses de quinine. Nous campons au pied d’une rangée de collines qui séparent le bassin du Wébi-Chébéli de celui du Wébi- Ganana, celui-ci étant représenté dans cette région par son affluent le Wébi-Webb. De l’autre côté de ces collines descendent de larges vallées silencieuses où nous ])ouvons rencontrer des girafes. — De tous les grands animaux africains, la girafe est le plus rare et le plus tôt appelé à disparaître : la chasse de l’éléphant et du rhinocéros pour les Somalis et les Gallas, dé- pourvus d’armes à feu, est très dangereuse ; leur chair n’est pas comestible; tout cela les préserve d’une pro- chaine destruction. Inoffensive, douée ]:)Our son mal- heur de succulents biftecks et d’une peau |)récieuse, présentant les mêmes qualités que celle du rhinocéros, — facile à forcer quand on la charge de plusieurs côtés à la fois, — la girafe déjà rare, tend de plus en j)lus à dis|)araître du monde. On dit que la girafe Somalie — 127 — diffère de celles du reste de l’Afrique par la forme de ses taches et par leur couleur. Jusqu’à présent un seul Européen a réussi à en tuer une, c’est le major Wood, à deux jours à peine de marche de Sen-Moretou. Une trace, ancienne il est vrai, et presque effacée, dans le voisinage de la grotte d’albâtre, nous donne cependant bon espoir. Le janvier 1896, pour saluer la nouvelle année, nous franchissons la ligne de partage des eaux du Chébéli et du Ganana, qui forme en même temps la limite entre les Aulihans et les Aroussi-Gallas. Devant nous s’étend une large vallée très verte, bordée au sud par une bande de collines, mais descendant en pente insensible, à perte de vue, dans la direction du Ga- nana. Après une bonne marche dans la matinée, nous atteignons vers midi le campement établi par le Comte Hoyos au point terminus de son expédition. Bien que le pays soit très vert, la sécheresse est extrême ; nous ne parvenons pas à renouveler notre provision d’eau ; des chameaux vont en chercher bien en arrière, à la rivière du Prince Ferdinand. L’après-midi toujours pas de girafes; mais quelques traces de la veille qui nous encouragent. Par contre, les empreintes laissées par des rhinocéros et des élé- phants, abondent partout ; mais en cette région l’épine (( attends un peu » est plus traîtresse encore que dans le reste du Somal. Les fourrés impénétrables ren- dent la tâche du chercheur de pistes par trop pénible. Nous renonçons à chasser le rhinocéros pour nous con- sacrer aux seules girafes. A chaque instant nous faisons grimper sur les arbres nos shikaris, pour guetter le pre- 128 — 111 ier cou qui pointera bien haut, au-dessus de la ver- dure. Dans le même but, je tais l’ascension d’une petite colline ronde, d’où je dois avoir une vue assez étendue. Arrivé au sommet, j’entends sur le versant op|)osé un craquement de branches cassées suivi d’un bruit de pas ; je me trouve en présence d’une petite zériba dont les occupants, des Gallas sans doute, ont pris lestement la fuite à notre vue, abandonnant toute une jirovision de gomme arabique et quelques petits bâtons qui leur ser- vent, paraît-il, de brosses à dents. Je rentre au camp avec de violents maux de tête causés par l’odeur de certaines petites fleurs bleues, qui poussent sur de pe- tits arbustes sans feuilles en cette saison. L’odeur en est insujiportable à cent mètres à la ronde. Nous trou- vons notre escorte dans la désolation. La plupart de nos hommes sont pris par la fièvre, et le voisinage des Gallas rôdant autour de nous, ne contribue pas à rele- ver leur moral. Ils nous supplient de rebrousser che- min, de retourner à la rive gauche du Wébi, mais nous refusons net, décidés à ne pas revenir sur nos |)as sans avoir tué au moins une girafe. Le lendemain, de très bonne heure partent dans tou- tes les directions des escouades d’éclaireurs, chargés de nous avertir incessamment de la j)résence du gibier. Un backschich monstre récompensera la réussite de leurs efforts et leur bonne volonté. Vers dix heures un homme arrive, tout essoufflé, nous dire qu’il a vu, dans un vallon, loin d’ici, du côté du Wébi-\\>bb, deux belles girafes ; il a laissé deux compagnons, là-bas, avec mission de ne j)as les j)erdre de vue, tout en restant bien cachés, j)our LE FLEUVE DES LEOPARDS m — ne pas les el’f'arouclier. A l’instant même nous partons, et, après trois heures de marche, nous apercevons le gigantesque profil de deux girafes, immobiles et comme pétrifiées, debout, à l’ombre de deux acacias parasols. Notre première tentative pour aj:)procher à bonne portée reste infructueuse ; elles détalent vers l’ouest ; au bout d’une heure de poursuite, nous gravissons une rangée de collines, et dans la j)laine, sur l’autre versant, réapparaissent leurs têtes blanchâtres qui émergent des buissons, avançant rapidement à travers la verdure. Arrivées au milieu d’une grande clairière, elles s’arrê- tent et se mettent à brouter ; elles se redressent de temps en temj)s pour jeter autour d’elles un coup d’œil méfiant. Nous lançons en l’air des poignées de sable pour constater si le vent souffle du bon côté ; l’expérience prouve qu’il nous favorise et nous commençons à glis- ser silencieusement, avec des précautions de peau- rouge, à travers les buissons ; nous esj)érons ainsi arriver abonne portée de la clairière, sans avoir besoin d’avancer à découvert; mais elles ont marché en brou- tant et quand nous arrivons à la lisière la distance qui nous sépare d’elles est de plus de six cents mètres, ce qui les met pratiquement hors d’atteinte. Nos shikaris se faufilent [)rès de nous et nous tenons conseil à voix basse: nous décidons de tenter l’aAenture. Housseïn et Aden sont laissés en arrière; Géli arrache une touffe d’herbe et se la tient devant la figure; nous suivons son exemple, et, ainsi masqués, nous ranijions vers les girafes ; ces buissons mouvants ne laissent pourtant pas de leur paraître sus|)ects; voyant qu’elles vont s’enfuir, nous nous arrêtons ; elles se rassurent aussitôt. 9 Nous recommençons la manœuvre, osant à peine lever, à de rares intervalles, la tête, j)our observer ce qui se j)asse et toujours bien dissimulés derrière notre botte de loin. Enlin après des efforts inouïs nous voilà à trois cents mètres du gil)ier; c’est tout ce que nous j)ouvons faire; aller |)lus loin serait com])romettre le succès bnal ; nous nous a))j)rètons à tirer. Tout d’abord nous enlevons les é|)ines qui se sont enfoncées dans nos mains et nos genoux. Puis nous étant assis, nous ap- puyons nos carabines sur le genou gauche et visons la girafe la plus raj)prochée. Mon père l’atteint à la poi- trine, moi à l’os du bassin, au moment où elle se re- tourne. Les deux bêtes commencent à trotter vers les buissons; nous les poursuivons en tirant sur la blessée. Percée de plusieurs balles, elle s’écroule sous nos yeux au ])ied d’un arl)re. C’est un vieux mâle, blanc avec de grandes taches hexagonales d’un brun très foncé ; la tête est jaune et brune. Géli lui fait au cou l’entaille exigée par le Coran pour tout animal destiné à être mangé ; nous laissons là trois hommes dans une petite zériba et rentrons dare-dare au camp que nous avons ])eine à retrouver dans l’obscurité. JjC lendemain nous allons photogra])hier la girafe et la déjjouiller. Au moment du dé])art les shikaris nous arrêtent et nous montrent deux rhinocéros, à trente pas, qui viennent nous faire visite ; mais ils disparaissent tro|) tôt ])our que nous ayons le temps de leur rendre la j)oIitesse en coups de fusil; leur poursuite est vite abandonnée, car lèvent nous est défavorable et l’odorat est le sens le j)lus dévelo|)pé chez le rhinocéros. — Nous trouvons enfin la oirafe en bon état et nos trois O hommes en honiie santé; ils ont j)onrtant passé une nnit détestable, s’attendant constamment à être atta- qués par des Gallas. L’animal photographié, nous nous mettons en devoir de charger toute cette excellente venaison sur deux chameaux amenés à cet usage. Mais, O désolation! Géli, en faisant la veille l’entaille rituelle an cou, le « halal, » a négligé de con|)er la carotide, ce qui, aux yeux de nos gens trop scrupuleux, rend le halal nul et non avenu. Nos pauvres Somalis renoncent, la mort dans l’ame, à la belle indigestion qu’ils comp- taient se donner ; le fdet de girafe est leur mets le plus rare et le plus apprécié. Comme mon j)ère et moi nous n’avons aucune raison de nous abstenir, nous emportons à dos de chameau les meilleurs morceaux, et à dîner nous sommes d’accord pour déclarer que rien ne vaut la girafe, ])as même le chevreuil dont elle rappelle le goût. Après dîner, pour consoler un j^eu nos hommes et célébrer notre succès, nous tirons un grand feu d’arti- fice en faisant brûler du magnésium et en jetant des poignées de poudre de chasse sur des charbons ardents. L’enthousiasme de l’escorte devient du délire quand nous donnons un bout de magnésium à notre ])etit ânier Hassan, et que celui-ci se met à courir de droite et de gauche avec le métal incandescent, ayant tout l’air d’un vrai diablotin qu’il est. Mais ce moment de joie est vite passé. Affaiblis par la fièvre, nos hommes n’ont plus le feu sacré ; ils ne songent jdIus qu’au retour, à la douce et ])aisible vie qu’ils mèneront à Berbera ou à Aden. Une autre consi- dération nous incline à les écouter; c’est la présence. dans le J)ays Aulilian, de la inouehe tsétsé : coup sur COU]:) plusieurs chameaux ont succomhé à ses morsures et ce matin même un de nos chevaux est tombé fou- droyé au moment où on le hiâdait; un autre, également mordu, est si malade f[uhl ne peut tarder à rester en route. Enfin nous avons remj)li le ])rinci])al objectif de notre incursion dans le pays Aulihan: nous avons tué notre girafe; nous allons quitter ce ])ays malsain où rien ne nous retient plus. Le 4 janvier, nous rebroussons chemin versde Wéhi, en reprenant notre ancien trajet. Le 5 au coucher du soleil, nous revoyons Dour-Etamé et notre zériba d’an- tan. Les guerriers Aulihan viennent exécuter une fan- tasia en notre honneur, un « tamasho. » Ce sont de solides cavaliers, à l’asj^ect farouche, rappelant beau- couj) les Indiens de l’Amérique du Nord. Les pauvres chevaux brusquement arrêtés au milieu d’un galop furieux, excitent notre compassion ; il est curieux de voir les Somalis presque dévots dans leurs soins pour les chameaux, n’user d’aucun ménagement avec leurs chevaux; ils les martyrisent et leur abîment la bouche. Le 6 janvier nous recampons au bord du ^^^ébi, ])rès du gué naguère découveil par nous. Mon ])ère et moi tirons à la fois sur un oryx à deux cents pas ; les deux balles lui traversent le cœur, de telle sorte que nous sommes forcés de nous compter chacun un demi-oryx dans nos tablettes de chasseur. Une caravane de Somalis, venant de Berbera, campe dans notre voisi- nage; nous apj)renons de leur l)ouche c[ue les Abyssins sont arrivés en force, après notre départ, à Jig-.liga; iis ont été très désaj)pointés de ne jdus nous y trouver. On nous rapporte aussi nue autre nouvelle, triste celle- là : au moment où la caravane quittait Berbera, ou y ramenait en piètre état un officier anglais, le major Saudbach, qu\iu lion avait cruellement déchiré ; il devait succomber bientôt à ses blessures, dont quel- ques-unes avaient nécessité l’amputation des deux bras. Son premier shikari avait été tué sur place, le second grièvement blessé. Le 7 janvier nous rej)assons le Wébi, assez facilement cette fois, l’eau ayant un ])eu baissé ; le soir nous cam- pons sur les bords du Madesso, à quatre kilomètres de son confluent avec le Wébi. Mon ])ère rentre très tard, amenant avec lui un ])etit Somali à demi mort de faim, qu’il a trouvé évanoui sur le sol; a])rès avoir mangé, le négrillon nous raconte qu’il est le seul sur- vivant d’un village de Géléïmis, surj:)ris et brûlé par les Abyssins ; se trouvant aux environs à ce moment, il a pu, dissimulé dans un taillis, écha])])er ainsi au mas- sacre. Depuis, il a vécu en mendiant dans les Karias (Ivaria = village transj)ortable, en somali) du voisinage. Il voulait venir à notre zériba, pour nous ])rier de le j)rendre avec nous jusqu’à un village plus éloigné où il a des parents ; mais il s’est égaré; ses forces l’ont trahi ; il s’est couché avec résignation sur le sol, à la merci des lions et des hyènes. Nous décidons de le conduire au village désiré et de l’y laisser en exigeant des garan- ties pour qu’il y soit bien traité. CHAPITRE IX L’OGADEN CENTRAL Nous remonlons le Madesso. — Les grottes d’albàtre dédiées à la prin- cesse Marie. — Les Monts Dek-Marodi et Onasasalé. — Une bande de singes. — Les premiers phacocères. — Le village de Der-Marodilé. — AHïït au lion. — Mon père tue une lionne ; moi, un grand lion. — Les Rer-Amaden. — Un rhinocéros entêté. — Milmil. — Traversée du Haud. — Hargeïsa. Le 8 janvier nous commençons à remonter le cours du Madesso. La marche dans le lit désséché de la rivière est une vraie promenade et nous avançons rapidement. C’est à ])eine s’il y a de tem])s à autre un mince filet d’eau bientôt perdu dans les sables. Des deux côtés la rivière est bordée jTar des parois de rochers, qui font de tem])s en temps place à des groupes pittoresques de casuarinas et de palmiers. Par endroits, nous trouvons une herbe vigoureuse et verte, bien accueillie par nos bêtes de somme qui ont jeûné dans les maigres [)àtu- rages du pays Aulihan. La halte de midi est bien agréable à l’ombre des grottes creusées par l’eau dans les rochers d’albàtre qui sur|)l()iiil)eiit, la rivière. I^lles sont souvent assez pro- fondes, fraîelies et exeinj)tes de ees odieuses mouelies afrieaines, ennemies du repos des voyageurs. Nous donnons à ces grottes le nom de S. A. U. la Princesse Marie de Uonmanie. Pins nous nous éloig*nons du j)lus la temj)éra- ture devient supportable ; les nuits deviennent même j)resqiie froides ; la région se fait montagneuse et aride ; le 9 janvier nous sommes au pied des monts Dek-Marodi et Ouasasalé que sépare un large défilé ; an milieu coule — ou ne coule pas — le Madesso. Depuis le ^^"ébi, j)as trace de gibier; une bande de babouins à crinière a seule animé le |)aysage, nous les aurions presque pris ])our des indigènes campés sur des rochers, en supj)osant à ces derniers une très j)etite taille, il est vi’ai ; bien entendu nous ne leur avons fait aucun mal, restant une bonne heure à observer leurs amusantes pantomimes; ils nous voyaient d’ailleurs très bien, sans paraître s’inquiéter de notre présence. Le lendemain je fais rasccnsion du mont Dek-Marodi dont je mesure la hauteur avec l’anéroïde ; j’esj)érais y trouver des koudous, dont je n’ai vu finalement que les traces mêlées à celles de quelques éléphants ; ces der- niers sont, contre toute apj)arence, des grimpeurs de j)remier ordre. En revenant au canij), Douali, coutumier des mêmes mésaventures, marche pour la seconde fois sur un serpent, mais il a le temps de sauter de côté poui* éviter la dangei'eiise morsure qui le menace. Mon père a tué aujoui'd’hui son premier |)hacocère, un male avec deux paires de fortes défenses ; il l’a d’ahord gi ièvement blessé ; l’animal affolé s’est jeté dans un UNE GROTTE DANS LE LIT DE LA RIVIÈRE MADESSO ravin on il s’est tué raide ; mon désir de j)onvoir imiter ses exploits est bientôt exaucé. En quittant le Madesso ])our remonter son aflliient, le Sammané, je tombe sur une bande de plus de vingt phacocères, je commence ])ar en abattre un, puis je cours après les autres et cette fois je fais un doublé. Je suis très fier d’avoir tué mes trois phacocères, mais les shikaris ne le sont pas du tout ; ils crachent et font d’horribles grimaces. Le ])orteur de rap])areil photograj)hique se fait tirer l’oreille avant de bien vouloir s’approcher. 11 éprouve une grande réj)ugnance à j)orter sur son dos l’image de ses animaux impurs. Bientôt arrivent les Midgans, qui moins superstitieux tri])otent à qui mieux mieux les bêtes, extraient les défenses et retournent au camp chargés de la dépouille des sangliers. Nous les suivons, les shikaris marchent derrière nous en marmottant sans cesse des prières pour qu’Allah leur pardonne d’être les complices d’une pareille abomination. Le L1 janvier nous atteignons le village de Der- Marodilé ; nous aj)prenons avec un plaisir barbare que les lions y font de grands ravages. Un chameau a été dévoré il y a deux jours, un homme la semaine dernière et ainsi de suite. Nous promettons aux habitants de les venger. Au moment où nous finissons de déjeuner, on nous annonce qu’une lionne vient de tuer un cheval, j)eu d’instants avant notre arrivée, et tout près d’ici. Elle a pour l’heure abandonné le cadavre, mais elle reviendra à coup sûr avec la nuit. Mon ])ère se fait construire une zériba près du cheval tué, et je m’en fais faire une autre pour moi à côté du village, un de nos ânes est attaché devant la mienne en guise d’a|)pàt. KiO — Au coucher du soleil j’entre avec Douali dans la zé- riha. La nuit descend peu à ])eu, j)ui*e, ])resqu(‘ argentée ; les étoiles éclairent de leur pale lumièi*e l’échine du |)auv]*e baudet qui tranquillement broute les maigres touffes d’herbes, autour de lui, sans se douter du sort lamental)le qui ])eut-ètre l’attend. Plus loin s’étend la ligne brisée que dessine le village, des éclats de rires et des cris de joie en partent constamment; nos gens fra- ternisent avec les naturels du pays. Le vacarme cesse peu à peu... les hyènes seules rient dans l’ombre et le gloussement des chacals accompagne leur ricanement. ^ oici qu’une détonation retentit du côté de mon père, suivie de longues clameurs dans le camp et le A'illage. Puis tout rentre dans le demi-silence de naguère... La nuit se j)asse sans incident et quand l’aube survient je me précij)ite chez mon père. Je le trouve debout entre le cheval mort et une grande lionne qu’il a foudroyé d’une balle, juste entre les deux yeux. En rentrant au camj) on nous raconte que deux autres lions viennent de dévorer un de nos cliameaux qui s’est échaj:>pé cette nuit ; ils ont commis leur méfait à l’aube, tandis que nous étions encore à l’alfiit, — et à cin- quante |)as à peine de moi. — Je comprends j)ourquoi, abondamment fournis de venaison, les fauves ne sont ])as venus jusqu’à l’àne. Le cadavre, bientôt découvert, est aux trois quarts mangé ; nous commençons à suivre la j)iste des lions qui ne |)euvent être bien loin, bourrés comme ils le sont. Les em|)reintes, examinées, nous montrent ([ue nous avons affaire à un vieux mâle et à une lionne. Au bout d’une demi-heure, nous sommes en présence des fauves, dans un foun*é si é|)ais et si sombre que nous les entrevoyons à peine glissant comme des spectres à travers les branches. Mon père et moi tirons sur eux au jugé, mais sans résultat. Nous continuons la |)oursuite qui s’engage enfin en un ter- rain découvert, sillonné de nombreux ravins. Mon père est à droite, moi à gauche, les shikaris cherchent la piste au milieu de nous... Au moment de m’engager dans un ravin assez large, je vois le grand lion gravir la pente op])osée. Au sommet du talus, il s’arrête, secoue sa belle crinière noire et me j)résente le flanc. Puis lentement, il tourne sa tète vers moi et me regarde d’un œil fixe; il reste immobile et comme coulé en bronze. Je le vise à l’épaule et tire. 11 tombe, étendu sur le flanc, agité de violents soubresauts et poussant d’horribles rugissements. Je l’achève d’un second coup de fusil. A ce moment la lionne bondit hors du ravin et disparaît si vite que ni mon |)ère accouru à toutes jambes, ni moi, n’avons lé temps de tirer. Nous laissons le seïs Aden auprès du lion mort, et nous élançons sur les traces de son épouse, bientôt abandonnées de- vant une série de fourrés impénétrables. Au retour nous rencontrons notre déjeuner ])orté ])ar des hommes d’escorte — et rap|)areil ])hotographique que le pré- voyant Eggeh nous a envoyé du camp au bruit des détonations. Le soir, nous recommençons la cérémonie de l’affût, pour voir affluer un incroyable nombre de hyènes, de chacals et de renards, mais pas le moindre lion. En revanche nous entendons au loin, dans la forêt, retentir les lamentations de la lionne veuve, en train de pleurer son noble époux et peut-être de le dévorer aussi. Le leiicleniain nous faisons sécher les peaux de nos deux lions; après quoi, nous recevons la visite du cheik de J)er-Marodilé, apj)artenant à la puissante tribu des Her-Aniaden. Voici le petit discours ffu’il nous tient, textuellement traduit par Eggeh : (( Salut! seigneurs! (Salani sirkalki); votre venue (( réjouit les Her-Ainaden. Vous ne ressemblez ])as aux (( Abyssins, qui, quand ils viennent, tuent, |)illent, l)rù- (( lent et nous emmènent prisonniers à Harar. LesAbys- (( si ns sont des bêtes |)uantes. Moi je suis un grand (( chef j’en ai tué six de ma main. S’ils viennent chez (( nous, nous les exterminerons. Mais vous, ô hommes (( blancs, votre venue nous fait plaisir. Vous tirez les « lions qui déciment nos troupeaux ; vous nous distri- (( huez des médicaments quand nous sommes malades. (( Nous voudrions toujours avoir des blancs parmi nous. (( Moot ! Moot ! Moot ! » (( Moot! » est le (( hurrab ! » somali. Ces Rer-Amaden forment une tribu très guerrière qui a refusé de payer tribut à Ras-Makonnen, comme l’ont fait les Mélengour. Rs reçoivent bien les Euroj)éens; moins rapaces que les autres Somalis, ils nous ont vendu du bétail à bon compte. Leur grand défaut est d’ètre d’enragés pillards en guerre perpétuelle avec tous leurs voisins. La veille nous avons vu passer une cin- quantaine de leurs cua aliers, retour d’une razzia cliez les l\er-Ali. Rs j)Oussaient devant eux un grand trouj)eau de chevaux, de chameaux et de bœufs qu’ils venaient de eaptui*er. Au cours de cette exj)édition ils ont dii massacrer un tas d’ennemis, car ils avaient un véritable magasin de eliaussures pendu à l’arçon de leur selle: 143 — c’est la coutume des Somalis de ])reudre à l’adversaire tué ses sandales et de les emj:)orter eu guise de trophée. Le K) janvier nous ])énétrons dans le ])ays des Her- Ougas-Kochen : j’y tue une hyène striée, d’esj)èce plus rare que la hyène tachetée. Je vois une autruche mâle à un kilomètre de moi ; mais malheureusement elle m’aperçoit, file, et disparaît. Douali, chargeant sur mon cheval plusieurs beaux aouls que j’ai tués, reçoit une ruade bien sentie; il tombe ])ar terre de tout son long et reste deux jours invalide ; il faut l’attacher sur un chameau comme les autres malades. Quand Géli et les autres shikaris l’aperçoivent dans cette position humi- liante, ils l’accablent de railleries et de quolibets dont les plus doux veulent dire : « vieille femme » et « chameau nouveau-né. » Il n’a pas l’air de se soucier outre me- sure de ces aménités somalies et les regarde avec mé- ])ris du haut de sa monture. Le 17 janvier nous voit entrer dans une vallée d’ap- parence très giboyeuse ; mon ])ère y tue bientôt deux koudous de la petite esj)èce ; il blesse aussi une ])anthère sans ])ouvoir la retrouver, malgré les flots de sang ré- pandus sur sa ])iste. Nous restons trois jours dans ces j:)arages qui semblent farcis de rhinocéros. J’en entends souvent fuir devant moi à travers les fourrés sans pou- voir les atteindre ; voyant que le terrain ne se ])rête ])as à cette chasse, j’y renonce et me consacre aux koudous. Nos gens attrapent vivante une jeune antilo])e de cette espèce, nous la faisons aussitôt remettre en liberté et replacer à l’endroit où on l’a trouvée et où nous avons vu sa mère la chercher. Mon ])ère parti à la ]:)Oursuite d’un rhinocéros femelle escorté de son petit, les rejoint dans un inextricable fourré on ils font leur sieste, avec la ferme résolution de ne j)as se laisser déloger de leur forteresse qui est pai*faite d’ailleurs. Du dehors il n’y a pas moyen de les apercevoir et chaque fois qu’on se met à ramj)er avec l’intention de ])énétrcr dans l’intérieur du taillis, les assiégés reniflent, accourent à toute vitesse et l’on doit détaler au ])lus vite. Mon père, impatienté, s’introduit encore une fois dans les Iniissons, aperçoit clairement une forme grise et tire dessus un peu au hasard. Les rhinocéros arrivent sur lui, tête baissée. Aden, le second shikari, atteint en écharpe par ré])aule de l’un d’eux, s’en va rouler à quinze ])as, meurtri et contusionné. Les pachydermes restent maître du chamj:) de bataille et mon père, devant les difficultés de la situation, se décide à les laisser en paix. Notre marche vers le Nord et la côte s'accélère de jour en jour. Nous campons à Garbo, village de Rer- Ougas-Kochen. Les indigènes nous a])portent un miel délicieux; mais il semble contenir un léger poison, car tous ceux qui en ont goûté, é])rouvent de violentes douleurs d’estomac; sûrement les abeilles ont employé à sa confection le pollen de plantes vénéneuses. On nous désigne dans les environs de notre campe- ment une mare d’eau bourbeuse, à laquelle il ne faut })as laisser nos bêtes se désaltérer : en effet, les Rer- Ougas-lvochen en ont empoisonné l’eau afin de détruire les animaux nuisibles c[ui s’y viennent abreuver. Hier ils ont fait mourir un lion dont le cadavre a été dévoré aussitôt par les hyènes. i.es 2\ et 22 janvier nous traversons les fertiles SEN-MORETOU plaines de Sibi et de bn, séjmrées rime de l’autre par une chaîne de collines arides, d’innombral)les trou- ])eaux de gazelles Scemmeringi et c[iielqnes bandes d’oryx y ])aissent, comme im bétail sans maître. Le 2)1 janvier nous coupons la Vallée du Faf. Les Abyssins ont ])assé par là, il y a qLiel([ues années; les champs incultes, les squelettes humains disséminés sur le sol en témoignent assez. Le soir, en arrivant à Sassabene, nous trouvons la zériba on ils ont campé, à en juger ])ar son étendue, elle devait contenir trois à quatre mille hommes. Notre campement s’établit à l’ombre de trois grands arbres très toulfus sous lesquels les So- malis Melengour s’asseml)lent pour élire leurs chefs. Le 2à, après avoir passé entre deux montagnes de forme conique, appelées Biosoro, nous atteignons le Jerer, traversé le 25 au matin. Le soir nous arrivons à Mil- mil, au bord du ])lateau de Haud, dans le pays des Ber-Ali. Ici la halte est de quelques jours ; afin de bien reposer nos hommes, nous engageons dans le village des indigènes et dix chameaux, porteurs d’une provision d’eau sup])lémentaire pour nous garantir de la soif dans la région de Haud, où l’élément liquide fait tout à fait défaut. Milmil n’est pas un séjour trop désagréable ; les arbres y sont beaux et y atteignent une rare ampleur de forme ; à noter des acacias épineux aux branches étendues, aux feuilles déliées qui ont un faux air de cèdres du Liban ; les Somalis forment dans le lit de la rivière des groupes curieux et pittoresc[ues qui arrêtent le regard. Durant notre séjour à Milmil un cheik de la tribu des Ilabr-Aoual vient nous demander notre aide contre les 10 Her-Ali (jiii ne veulent pas lui restituer un trouj:>eau de cliaineaiix volés à son j)euj)le. Nous lui adjoignons une (piinzaine de nos liomines armés de fusils et (piand il retourne au])rès des voleurs avec cette escorte, ceux-ci n’hésitent pas à rendre le bien mal acquis; ils font meme bonne mine à mauvais jeu et viennent exécuter en notre honneur un tamasho (fantasia ou tournoi, à votre goût). Après cette représentation, ils nous serrent la main et déclarent qu’ils ont rendu les chameaux de leur j)lein gré, pour nous faire plaisir. Les engageant à persister dans ces bonnes dispositions et à s’abstenir désormais de pillage, nous leur donnons des étoffes de cou leur. Ils remontent à cheval , enchantés de leurs cadeaux, brandissent leurs lances, en manière de salut, aux cris de : Moot ! moot ! moot ! et repartent au galop pour leurs villages. Nous continuons à faire les justiciers : une escouade de nos hommes rencontrant une bande de Midgans qui, armés d’arcs et de flèches empoisonnées, terro- risaient les Rer-Ali, et pillaient les caravanes mar- chandes, leur donne la chasse sans parvenir, il est vrai, à les rattra])er. Mais si le succès n’est ])as com- plet, nos gens nous rapportent un grand nombre d’ar- mes, abandonnées ])ar ces gredins pour courir ])lus vite; nous les chargeons sur un chameau, en vue d’une future panoplie. Des indigènes, venus du llaud méridional, nous annoncent qu’ils y ont rencontré la caravane des Comtes Potocki et Zamoyski ; ces intrépides chasseurs ont déjà tué un grand nombre de lions, (juehpies éléj)hants et des rhinocéros; ils ont établi un système de relais très ingénieux pour se procurer de Teau dans une région qui en est totalement dépourvue. Le 29 janvier nous quittons Milmil pour nous engager dans le llaud, suivis des dix chameaux Rer-Ali, porteurs d’un supplément d’eau. Sur cette route fréquentée par les caravanes, le gibier est rare; pendant quatre jours nous n’avons aucune aventure digne d’être raj^portée. Le cinquième jour un peu avant d’arriver à Ilaraf nous apercevons un lion, nous le tirons mais sans le toucher; il disparaît d’un bond énorme dans les buissons ; la crainte de manquer d’eau nous empêche de nous arrêter et de le poursuivre. Je tue un oryx presque à bout ])or- tant (10 m. de distance); j’ai pu m’approcher ainsi, grâce à un mamelon qui faisait paravent. La bête est la plus grande que nous ayons tuée au cours de l’expédition. Ses cornes mesurent 91 cm. de long. Le 5 février, nous atteignons llargeïsa et nous y restons deux jours, occupés à massacrer des lièvres, des perdreaux et des faisans. J’ai attrapé vivante une antilope dik-dik que je remets en liberté après l’avoir photographiée. Elle s’était ])ris la patte dans un nœud coulant, formé par une liane, et j’avais pu facilement la saisir; ses cris lamentables m’ont fait encore abréger son séjour entre mes mains. ■■V Ipl#.- k ■ . lit?, ’- s-f^r ■ * ^ ■ i . v ' ^ \ 'A %tT ■ .V ■_« CHAPITRE X Ll-: RETOUR A LA GOTI-: Le lion de Gabouro. — La caravane anglaise. — Mandeira. — Je tue cinq koudous inàles. — Les Monts Golis. — Ascension dn Gan-Libali. — Une panthère mangense d’iioinines. — Arrivée à Berbera. — TiC retour. Au départ ddlargeïsa nous rencontrons nn traînard de la caravane d’un gentleman anglais qui nous j)ré- cède, allant à Berbera; ce gentleman est allé chasser dans rOgaden en compagnie de sa femme ; il leur est arrivé une bien jTénible aventure : à l’affût au rhino- céros, ayant fait construire une zériba près d’un étang qui servait d’abreuvoir aux faines, ils n’avaient pas tardé à s’endormir, laissant leurs deux shikaris A^eiller à tour de rôle. L’un d’eux dont c’était l’heure de quart, s’était endormi aussi, et dans son sommeil avait laissé passer sa tète par la meurtrière de la zériba. Un lion était xenu, ax^ait d’un coup de dent broyé la tête dn dormeur, l’avait tiré hors de l’abri et s’en était allé le manger qneh[ues j)as plus loin. Héx^cillés par le craf[uet)ieiits des os el les grognements du lion, les occupants de la zériba essayèrent crintcrrompre j)ar une grêle de balles le fauve dans son horrible beso- gne; mais rol)scurité em])êeliait de rien distinguer. Ce n’est que le lendemain matin qu’ils purent quitter la zériba. Le traînard qui nous raconte cette triste his- toire nous apprend que la santé de la dame a été fort ébranlée par les émotions de cette nuit terrible et que la caravane cherche à gagner au plus vite Berbera. xV|)rès Hargeïsa, nous croyons fermement en avoir fini avec la chasse ; mais c’est com])ter sans le hasard ; des oryx et des hyènes payent encore tribut à nos ins- tincts féroces ; et je dois, comme bouquet de nos belles hécatombes, faire un massacre de koudous ])eut-ètre unique dans les annales de la vénerie africaine. Je dé- sirais beaucoup tirer un koudou de la petite esj)èce, dont mon père avait déjà abattu six l)eaux exemj^laires. Eu arrivant à Mandeira, vallée située au pied du mont Gan-Libah, dans les Monts Golis, je tue une de ces an- tilopes à côté d’un rocher appelé le Rocher des sept voleurs (7 voleurs furent tués au sommet, d’où le nom; c’est une pyramide de pierres, surgissant d’un beau fouillis d’aloès). Ouelques minutes aj)rès, j’en tue une seconde : toutes les deux sont de vieux mâles, suffisamment cornus. Ce n’est que le début. Le lende- main, accablé ])ar de violents maux de tète, que m’a valu une insolation, je reste étendu toute la journée sans pouvoir bouger; mais au coucher du soleil me sentant mieux, je vais battre les environs du camjie- ment; nue bande de (*es fameux koudons de la petite espèce m’a])j)araît soudain; ils sont une douzaine dont trois mâles de toute beauté; j’abats deux de eeux-ci cou|) sur coup et quand le troiq)eau affolé passe devant moi, je tire le troisième, retrouvé le lendemain, après avoir un peu subi l’atteinte des hyènes. Ce trophée de trois koudous males, de la petite espèce, tués à la fois, chatouille agréablement mon amour-propre de chas- seur de vingt ans ; leurs cornes vont se joindre aux dépouilles de la veille. Mon père a passé deux nuits à l’affiit au lion ])rès d’un village somali, mais sans succès; il se sent très fatigué ; aussi ne m’aecompagne-t-il |)as c[uand, le 16 février, je fais l’ascension du Mont Gan-Libah. A])rès six heures de marche et de gymnastique j’atteins le sommet, amplement récompensé de ma peine, j’y dé- (“ouvre une vue splendide qui d’un côté s’étend jusqu’à la plaine maritime, de l’autre jusqu’au llaud ; au pre- mier plan les lourds rochers noirs et rougeâtres se décou j)ent violemment sur le bleu intense du ciel et forment une im])osante ceinture au sommet. Dans les crevasses, jaillissent comme un feu d’artifice de feuilles aiguës, les aloès aux teintes fraîches; poussent des pe- tits buissons vigoureux, des herbes denses de la mon- tagne; la grande euphorbe « hassadan, » atteint ici d’incroyables ])roportions ; le soir on dirait un candé- labre géant dont les étoiles viennent faire les flammes. Le j)lateau est couvert d’une forêt de cèdres ; leur taille est petite, mais ils sont très larges et touffus. Ln rentrant à Mandeira, des indigènes viennent nous raconter les méfaits d’une vieille panthère qui a élu domicile dans le défilé de Jirato, non loin d’ici ; elle a déjà tué un grand nombre d’hommes isolés qui ont eu l’impiiidcncc' de traverser le défilé après le eoueliei* du soleil. Le lendeiiiaiu je vais à sa i-eelierehe sans pouvoir la reiieoiitrer; mais la |)romenade est loin cLétre désagi'éahie eu ee magiiificjue j)ays, dans cette gorge aux |)ersj)eetives ehaiigeaiites, j^aiaiii ees colli- nes ahiaiptcs, inondées crune lumière qui fait resj)len- dir leui*s couleurs farouclies et som|)tueuses : c’est un vrai ty|)e de paysage africain, trapu, ramassé dans ses formes, crépu dans sa végétation comme une tète de nègre, mais beau par son harmonie sauvage. Je rentre à Mandeira au clair de lune. Déjà je vois j)alpiter les feux du campement, quand soudain mon mulet se ca- bre et commence à trembler de tous ses membres ; j’aperçois sur le sable blanc une masse noire qui se rap])roclie de nous j)ar j)etits bonds. Je mets pied à terre et j)rends la carabine que me tend Douai i : c’est la trop célèbre |)anthère ; mais avant que je ne l’aie mise en joue, revenant à de meilleurs sentiments, elle disparaît dans les buissons. D’après l’empreinte de ses pas, examinée le lendemain matin, elle doit être bien supérieure comme taille à toutes celles que nous avons vues jusqu’ici. Le LS février nous quittons Mandeira, et les Monts Golis auxquels nous tournons le dos me font l’effet d’un l’ideau, soudain tiré |)our nous séparer, à jamais peut-èti*e, de ce beau pays de chasse et d’aventures. Le *20 une na|)pe bleue paraît à l’horizon, c’est la mer, (*’est la route d’f]uro[)e. Le 21 nous sommes à Herbera, où nous reçoit très cordialement le capitaine Merewether, assisté dans sa tache par sa chaianante femme ; il vient d’èti*e nommé résident à la pla(*e du ARBRE GOUB A MILMIL ca])itaine Abiid. Ici nous prenons congé de notre fidèle escorte que nous ne quittons j)as sans regret : l’idée que nous ne nous reverrons probablement jamais nous est bien pénible et beaucouj) d’entr’eux semblent par- tager nos sentiments. Pour ma ])art le souvenir de ces braves gens, qui ont supporté avec nous tant de fatigues et de dangers ne s’effacera j)as de si tôt de ma mémoire. Deux jours après c’est Aden; confortablement instal- lés de nouveau à la Résidence, chez le Général et Madame Cuningham, un court séjour dans cette maison hospitalière nous re])ose tout à fait ; nous partons pour l’Egypte, où nous attendons la fin de la saison froide pour rentrer en Europe. KJ- îli»'?''- ■ M' ’J T*' , ( v i U- !. ^ . * m /. H ) Cé'* S 3/S-V i T * CHAPITRE XI LES SOMALIS d’apkks les auteurs spéciaux et .nos propres observations Origine et histoire. — Le peuple galla. — L’invasion arabe. — Forma- tion du peuple Somali. — Les Soinalis actuels ; — religion ; — morale ; — castes : — caractère ; — habitation et nourriture ; — les femmes ; — le mariage ; — éducation des enfants ; — combats entre tribus et duels ; — les animaux domestiques ; — cérémonies et coutumes ; — costumes. — Les explorateurs de la région. — Situation politique et internationale du Somaliland. Les Somalis sont un j3euj)le jeune, au nom inconnu de rantiquité. Sur les vieilles cartes, leur pays est aj)pelé (( Regio aromatifera » à cause de rencens qu’on en faisait venir de tout temps, et des nombreux buis- sons odoriférants c[u’on y rencontre. 11 est certain qu’à une éj)oque très reculée, ce terri- toire était occupé par des nègres pnr-sang ; mais on n’a pas pu établir à quelle é])oque cette race autochtone a été chassée et forcée d’émigrer au delà du lieuve Juba. Leurs remplaçants furent des Cdiamites et des Sémites venus d’Asie avant la naissance de l’islamisme en Arabie. Le mélange de ees j)0|)ulations asiatiques avec une partie des anciens al)origènes constitua, longtemps avant Mahomet, un grand peuple galla, réj)andu non seulement sur la pointe orientale de l’Afrique, mais encore assez loin dans l’intérieur du continent ; le nom de Somali n’existait pas encore : et les Arabes eux- mêmes ne connaissaient le j^ays que sous le nom de (( Bar-Ajam » ou terre inconnue ; les traditions des Gallas s’accordent avec celle des Somali s |)our établir que toute la corne orientale était |)ossédée |)ar les Gallas avant Mahomet. Ils en furent chassés par des émigrants arabes. Le fait que les Arabes ont attaqué rEthioj)ie et lui ont même imj)osé durant un certain temj)s des négus musulmans, prouve assez combien fut puissante et agressive cette invasion. Les traditions scrupu- leusement conservées ])ar les Somalis les font descendre de trois arabes Ishak, Fir et Farud dont le dernier appartenait à la race des Koréichites, la ])lus noble de l’Arabie. Ils auraient épousé des fdles gallas, et leurs fds seraient devenus les chefs des différentes tribus qui ont composé le ])eu])le somali. Les gens de notre escorte nous ont raconté que le nom de Somali, tire son origine de celui d’un vieux chef Galla très riche appelé Somal, dont les nombreuses fdles auraient été les femmes des j)remiers émigrants arabes. Ceux-ci renforcés par de nouveaux contingents d’Arabie, refou- lèrent vers le Sud-Ouest tous les Gallas qui ne voulurent ])as se soumettre. Le nom de Somalis est resté aux Sémites musulmans ainsi qu’à la j)oj)ulation qui s’est assimilée à eux. Depuis, une haine profonde sé|)are les Somafis des Gallas insoumis. 159 — Les Somalis ne nient j)as que leurs ancêtres aient épousé des femmes gallas mais ils repoussent tout de même avec méj)ris Tidée d’un lien de sang avec les Gallas d’aujourd’hui : ils sont très fiers de leur origine arabe ; en réalité ils sont comj)osés des éléments les ])lus variés. Leur couleur varie du chocolat au noir le j)lus foncé. Ils sont en général de haute stature, avec un torse bien conformé, des jambes longues et maigres; la figure a tantôt la finesse de traits des Arabes, tantôt un aspect camard voisin du ty|)e nègre ; le j)ays produit les pâturages qui sont nécessaires à la nourriture de leurs immenses troupeaux mais il manque d’eau et par endroits il est absolument impropre à toute culture ; c’est sans doute ce qui fait des Somalis un ])euple de pasteurs nomades, soumis au régime patriarcal. Tous les habitants sont musulmans ; la religion est le seul lien qui les unisse un j)eu ; divisés en nombreuses tribus, ils vivent la ])lupart du temps en lutte j^erpé- tuelle ; cet état d’hostilité se manifeste rarement ])ar une guerre régulière, mais le plus souvent par des expéditions nocturnes, des pillages, des razzias, ou des usurpations de pâturages. Bien que musulmans dans les formes de leur religion, les Somalis ne semblent ])as avoir la même conception de Dieu que les Arabes soumis avec résignation à tous les arrêts du destin : le fétichisme des nègres a influencé sur ce ])oint leurs idées. Du moment où le Somali a régulièrement accom- pli ses dévotions, observé ses jeûnes et s’est abstenu des victuailles ou des boissons défendues j)ar le Coran, il se trouve en règle vis-à-vis d’Allah ; c’est au tour de celui-ci de satisfaire sa créature ; sinon gare à lui : il IGO — est res|)oiisal)lc de tout ; le l)rave Soinali le gronde, rinveetive, rinjiuâe, eoniine nous avons pu souvent le constater au cours de notre expédition. Parmi les Sonialis on trouve des individus apj)elés M idgans, Adonés et Rams, f[ui semblent être les descen- dants des anciens nègres et Gallas les moins assimilés aux éléments arabes ; entre eux ils parlent un dialecte s|)écial mais ne forment pas un ]:)euple à part, et se trouvent ré])andus par groupes parmi les diverses tribus somalies ; ces gens s’occupent en général de métiers ma- nuels ; il y en a aussi des chasseurs ; un bon nombre élève des autruches dont ils vendent les |)lumes à Berbera ou à Zeyla. Les M idgans sont méprisés j)ar les autres So- malis parce qu’ils ne se soumettent |)as aux prescriptions l’cligieuses dans toute leur rigueur : ainsi ils mangent du gibier sans qu’il ait subi le « balai » (résection rituelle des artères de la gorge), ils touchent les animaux im- purs tels que le sanglier et le chien. Ils ont coutume de chasser avec des arcs et des flèches emj^oisonnées ; souvent aussi ils forcent les antilo]:)es avec les chiens ; ils sont d’une étonnante habileté pour amener le gibier à portée de leurs traits. Pour tuer l’autruche mâle aux plumes précieuses, ils se servent d’une autruche femelle apprivoisée et tenue en laisse j)ar une très longue corde. L’autruche sauvage aperçoit la femelle et court vers elle. Le chasseur caché derrière uu tas de sal)le ou une fourmilière, commence à tirer doucement la corde et amène de cette façon auprès de lui, peu à peu, l’animal ap|)i*ivoisé ; le male suit sans défiance, et bientôt reçoit une flèche empoisonnée dont l’effet est toujours sur. Ils emploient à peu |)rcs le même système pour tuer MA SECONDE LIONNE L61 l’oryx, mais ici c’est un àne affublé au j)réalable de la peau et des longues cornes de l’antilope, qui sert d’amorce à la bêtise du gibier. — Le ])oison employé par les Midgans est une sorte de pâte noire obtenue par une cuisson très prolongée de racines vénéneuses. A l’exception des prêtres, peu de Somalis savent lire et écrire. Leur langue n’est j)as écrite ; leurs ])rières se font en arabe ; la terminologie religieuse est aussi arabe, semble-t-il. Les Somalis sont assez indolents : mais leur consti- tution est très vigoureuse. Ils sont ca])ables de bien travailler, quand ils veulent s’y décider. Ils pratiquent avec zèle la maxime : « Chacun pour soi et Dieu pour tous. )) Nous avons vu des caravanes faire de longs détours pour éviter un obstacle que deux ou trois hom- mes réunis auraient suffi à faire disparaître pour tou- jours en une demi-journée d’ouvrage. Tous les travaux difficiles du ménage sont effectués par les femmes. Elles vont chercher l’eau et le bois, tissent des couver- tures, fabriquent des gourdes tout en portant leurs marmots sur le dos, en un petit berceau d’écorce. Les habitations sont mobiles, comj)osées d’une très légère charj)ente recouverte de peaux de bêtes ; ce sont plutôt des tentes que des maisons. A Ilargeïsa et dans les autres villages stables du pays Somali, il y a quel- ques maisons à plusieurs chambres, construites en argile battue. La nourriture des indigènes consiste en laitage, en riz, en dattes, en viande de mouton ou de chameau, en ghi (sorte de beurre clarifié). Là où l’agriculture est tant soit peu en honneui-, on mange aussi des gâteaux lirl — faits avec des graines de soi-glio: la culture du serglio s’opère d’une façon très j)riniitive. La charrue est in- connue; elle est reni|)lacèe par des hâtons j)ointus; on fait avec eux des trous dans le sol, où l’on introduit la semence; les mauvaises herbes ont été j)réalahlement extir|)ées j:>ar le feu. Les femmes occu])ées des travaux les plus j)énihles, semblent s’y soumettre pourtant volontiers; elles sont d’ailleurs bien traitées : souvent nous les avons vues se mêler aux discussions et parler ])lus haut même que les hommes. Les somalis n’ont jamais ])lus de quatre fem- mes. Les femmes sont achetées à leur j)ère. Le mariage se complète par une déclaration devant un prêtre ou le cadi. Le jeune homme qui n’a pas les moyens de payer le prix demandé, s’associe avec d’autres pour piller une caravane ou voler un trouj)eau, et se procure de cette façon l’argent ou le bétail nécessaire. Ces pro- cédés sont très bien vus, et hautement loués dans les chants nationaux. Pendant que les femmes vaquent à leurs travaux, les hommes, couchés ou accroupis, ne font rien ou s’occu- pent à coudre et à ré])arer leurs vêtements. Ouand nous arrivions à l’improviste dans le voisinage d’un village, les femmes et les filles se retiraient j^récipi- tamment dans leurs huttes, tandis que les hommes restaient dans la position où ils se trouvaient, sans nous regarder, affectant la plus comj)lète insouciance, mais ti*ès inquiets au fond. Leur froideur ne disparaissait que peu à j:)eu, après cpielques poui*parlers, des distri- butions de cadeaux ou de médicaments, ou bien la constatation d’une j)arenté entre un homme de notre escorte et leur propre tribu. Alors ils devenaient aima- bles, mais d’une cordialité affectée comme leur ])re- mière impassibilité; il semble qu’un Somali ne j:)uisse être bien disposé, en toute franchise, que pour les seuls membres de sa tribu. Au service d’un Européen, ils accomplissent bien leur devoir, mais il paraît qu’alors leurs j^rincipaux mobiles sont resj)oir d’une large rémunération et la crainte que leur inspirent les armes et la jouissance des blancs; c’est d’ailleurs tout ce qu’ils resjoectent dans notre race : ]30ur le reste nous sommes considérés comme des êtres inijours, qui dans leurs efforts pour s’élever au-dessus de la condition des autres hommes, insultent la Divinité et ont joerdu à jamais les délices du joaradis en échange de quelques agréments de joins sur la terre. Les Somali s sont très bons joour leurs enfants. Les garçons sont joortés sur le dos de leur mère joins long- tenijos que les petites filles ; quand ils atteignent l’âge de huit à dix ans, ils commencent à avoir une très haute idée de leur valeur joersonnelle. On les voit alors évi- ter la société des femmes et jorendre joart au assemblées de guerriers dont ils tâchent de singer les allures ; on leur donne une lance et un bouclier adajotés à leur taille. Les Somalis ayant le joins grand resjoect pour les tra- ditions de famille, celles-ci se transmettent sans être écrites, et les garçons apjorennent joar cœur leur généa- logie. Nous avions dans notre escorte trois gamins très gentils et très gais, qui ne se querellaient jamais. Ils faisaient jolus de besogne que leurs grands coidrères. Oiiaïul ces marniots avaiieeiit en âge, ils (leviennent très siisee|)til)les ; leur vanité se blesse (riin rien, les rendant souvent négligents dans raeeoinplissement de leurs devoirs et parfois inênie dangereux, lleiireuse- nieiit, gi’a(*e à la mobilité de leur caractère, la colère passe vite chez eux. Dans notre caravane, à deux re|)ri- ses, deux Sonialis de tribu différente se sont jetés run sur l’autre, la lance à la main, après une discussion un ])eu animée; nous réussîmes à les séparer avant ([u’il y eût de blessures graves ; quand nous les eûmes main- tenus tranquilles ])endant quelques minutes, ils se cal- mèrent et l’on put les relâcher. Ces sortes de duels sont très frécjuents et pas anodins du tout ; nous avons vn nombre de Somalis j)ortant dans leurs cheveux une j)lume d’autruche ou un piquant de j)orc-épic, signe qu’ils avaient déjà tué un homme de leur main. Ouand les Somalis se reposaient après une marche, nous les voyions toujours occupés à aiguiser les fers de leurs lances ou de leurs sagaies, et à les |)olir. Leurs yeux brillent de joie dès qu’on leur remet un fusil; il leur procure une jouissance enviée et leur per- met de se donner des airs imjoortants vis-à-vis des tribus de l’intérieur, qui ue joossèdent pas d’armes à feu, tout en connaissant très bien leurs effets terrifiants. Leur plus grand jolaisir est d’acconijoagner, fusil en main, un chasseur eurojoéen dans son exjoédition ; son estomac se joàme deAant la j)ers|oective du glii, des dattes, des moutons, des chameaux gras, des zèbres et de l’excellent gibier dû à son maître; ses instincts de limier et de gouimiand fieffé trouvent dans ce rôle leur douce satishu'tion . 165 — Malgré leur amour pour les armes à feu, ils sont mauvais tireurs; nous eûmes l)eaueou|) de |)eine à leur a|)j)reiidre à toucher uue grande eihle, à cinquante mètres. Ils pourraient devenir de bons soldats si leur esj)rit indé|)endant leur |)ermettait de se soumettre à une sévère discipline, car le Somali a toujours une attitude très digne et la bravoure est sa qualité |)rinei- pale. Plusieurs fois les chasseurs euro|)éens n’ont dû leur salut qu’à l’héroïsme de leurs shikaris. Témoin Lord Delamere en son aventure avec le lion du Mont Sabatweyn. La richesse des Somalis est toute dans leur bétail, chameaux, chèvres, moutons, vaches et ânes. Les chevaux sont petits et laids; certains chefs en ont de j)lus beaux, qui sont de demi-sang arabe; le Somali est bon cavalier, la selle et la bride de sa monture sont ornées de franges et de j)ompons en laine bleue, verte, rouge et jaune; tout cela est très joli au grand soleil. La selle elle-même et les guides, très défec- tueuses, font souffrir le clieval. Les vaches ressemblent par la forme et la couleur à leurs |)arentes de Suisse, mais la nature les a gratifiées d’une bosse au milieu du dos. Les chèvres sont en général blanches ; les moutons blancs avec la tête noire ; leur queue est large, grosse, énorme, formant une masse com])acte de graisse, leur viande est excellente. Ils n’ont pas de laine. Les chameaux, des dromadaires à une seule bosse, sont un |)eu plus petits que leurs congénères arabes. Ils mangent tout ce qu’ils trouvent, mais le fond de leur nourriture consiste dans les feuilles de ces acacias qu’on trouve j)artout au Somali- I()() — land. lueurs lèvres prélieasiles seinl)lcnt tout à fait insensil)les aux é|)ines. La grande (jualité du elianieau et la plus eoniiue est sa sobriété en matière de boisson; il fait souvent ses ([uinze joui's de marelie sans eau, et Dieu sait s’il est eliargé avee eela. Lu eliameau soinali porte envii’on eent kilogrammes sur le dos; d’iiabitude, il a bon earaetère et ne mord que très rarement. Mais il nous donne de lamentables eoneerts inédits qui nous déchirent les oreilles chaque fois qu’on le charge ou le décharge. Nos deux ehameaux militaires, amenés d’Aden, et habitués aux soldats Hindous, ont ]:)ar contre un très mauvais earaetère, mordant à c[ui mieux mieux nos hommes d’escorte ou les autres ehameaux, broutant à part et ne permettant j)as aux dromadaires somalis de s’a|)])rocher d’eux. Les ehameaux destinés à la bou- cherie, engraissés dès leur naissance, ne sont soumis à aucun travail. Leur viande est très appréciée par les Somalis. Le Somali témoigne un grand respect aux morts; j’ai rapporté plus haut le récit d’un enterrement con- sidérable auquel nous assistâmes chez les Aulihans, dans le village de Dour-Etamé. L’indigène en passant devant un tombeau ne manque jamais de réciter une courte prière et de jeter une ])ierre sur le tertre fu- nèbre; la tombe finit souvent par être recouverte d’un tas imposant qui s’agrandit chaque année. Le j^euple étant nomade, les tombeaux sont isolés, les cimetières plutôt rares. D’ordinaire on enterre les morts sur le bord des routes et dans les endroits où il y a des pierres. A Herbera où nous avons vu des Somalis de toutes les ti'ibus, nous avons pu constater (pie leur costume est IG7 — [)artout le même. Le vrai vêtement national, rougeâtre, en |)ean tannée — dont nous ])ossédons nn bel exem- plaire— est devenu très rare; ils est remplacé partout par des toges en cotonnade blanche on brune ; cette dernière couleur est obtenue an moyen d’iine sorte de terre colorante. Ils savent se draper avec beaiicouj) de grâce. Leurs boucliers sont d’ordijiaire très joli- ment ciselés et toujours de forme ronde. Leurs lances très bien équilibrées sont armées d’nn fer de mauvaise qualité. Le Somali ne connaît que le couj) droit; la parade et le couj) simulé lui sont inconnus; il en résulte qu’il est facile à blesser, s’il n’a ])as son bouclier à la main ; |)ar contre il est d’une étonnante habileté dans le maniement de ce bouclier. Nous avons vu un brave homme parer ainsi toutes les pierres que lui jetaient en même temps cinq ou six j)ersonnes. Comme chaussure les Somalis portent des sandales à l’extrémité relevée. Les femmes mariées envelopi^ent leurs cheveux dans un sac noir; les jeunes filles vont tête nue. En général elles sont laides, mais gracieuses de loin et leur démarche ne manque j)as d’élégance; elles font bon effet dans le j)aysage africain. Il n’y a pas longtem])s que cette race, ces mœurs, ce pays sont devenus familiers à l’Europe. Au com- mencement du siècle le pays Somali n’était connu que comme une côte inhosj)italière derrière laquelle s’éten- dait une région aride, peuplée de sauvages sanguinaires et hardis. En 1825 le massacre de réf[uipage dn vaisseau anglais Marv-Ann contribua à éloigner de ces parages les voyageurs qui déjà commençaient à affluer vers l’Afriffue. En 1855 un nouveau massacre eut lieu près de Berheia. Après roeeupatioii de Hei‘l)era et de Zevia |)ar le goii veriieiiieiit égy|)tieii, la |)laine maritime de- vient plus aeeessihie et (pielcjues eourageux pioniiieis explorèrent le Gouhan, gravirent les Monts Golis. On peut citer les noms de Giaittenden, de Speke, de Ililde- hrandt et de Menges. Plus tard,. Bévoil pénétra dans la vallée du Daror, mais ses louables efforts ne pui*ent le mener bien loin dans rintérieur du j)ays. Sir Kiehard Burton, accompagné |)ar Speke et le lieutenant Stroyan entreprit d’explorer le nord du Somal. Son camp fut traitreusement attaqué, Stroyan tué, Speke fait prisonnier; mais il s’évada sous une grêle de sagaies, dont onze l’atteignirent. f]n I88.‘l, l’italien Pietro Sacconi avança |)rofon- dément dans l’Ogaden avec une escorte de douze hommes seulement. 11 fut assassiné ])ar les Melen- Gonrs an conlluent du Saloul et du Daghatto. Peu de temj)S après le maiTliand grec Panaghiotis subissait le même sort. M. Ilaewnmaclier traversa en 1884 les Monts Golis C)0 et j)arvint jusqu’à la limite du llaud en se déguisant en indiu-êne. Bn 1885 le comte Gian Petro Porro et ses O huit compagnons italiens sont assassinés dans le nord du pays. La même année les occupants égv|)tiens se retirent ; l’Angleterre prend possession de Berbera et deZeyla. Dés lors commencent à |)ulluler les voyageurs et les chasseurs. lAi 1885, l’anglais James atteint le fleuve Glîébéli dont l’existence n’était connue que |)ar les récits des indigènes. Lu 1891 le prince Lugêne Buspoli ti-averse ce (*onrs d’eau, |)éiiêtre j)rofondément LA FOUET VIERGE DU WEBI 171 — clans rintérieiir du pays, et y trouve une mort mal- heureuse sous les défenses d’un éléphant blessé. hn 1892 le colonel Arthur Paget et Lord Wolverton atteignent Barri sur le Wébi-Ghébéli . La même année le capitaine Swayne explore rOgaden septentrional et atteint le ((fleuve des Léopards» à Sen-Moreton. Les capitaines Bottego et Grixoni, avec une grande cara- vane, s’enfoncent dans le pays des Gallas, et a])rès avoir reconnu le bassin du Juba, re|)araissent à Brava, sur les certes de TOcéan Indien. En 1894 les comtes Iloyos et Coudenhove j)énètrent les premiers dans le centre du pays des Au bilans. La carte établie par le comte Iloyos et les précieux renseignements fournis par lui ont énormément contribué à la réussite de notre entreprise. Mieux connu, le Sonialiland n’a pas tardé à voir changer sa position |iolitique et internationale. Quand rr^gypte retira ses troupes des points qu’elle occupait sur la côte, l’Angleterre occupa Berbera, Bulhar et Zeyla. Cette dernière ville lui fut disputée pendant c[uelc|ues mois par la France c[ui avait occupé Obock et envoyé un résident à Zeyla. Les Anglais l’empor- tèrent, mais la France en acceptant une transaction qui lui assurait Obock et les alentours, n’avait jias fait un marché de dupe comme on le croyait généralement. Si Obock ne valait rien, un peu plus au sud se trouvait l’excellent mouillage de Djibouti. Djibouti, habilement administré par la France, a complètement remplacé Obock et fait actuellement une concurrence sérieuse à Zeyla et Berbera. Sur la côte de l’Océan Indien l’Italie a oc(*u])é ([uelques ])orts, comme Mogadoxo, où le consul italien Gecclii vient d'etre massacré avec les olliciers (le niai ine (jui raccompagnaient. L’intérieur de la corne orientale de rxVfricpie n’aj)- ])artient à personne ; il semble une |)roie tout indirjuée ])our l’Abyssinie, c]ui, après avoir compiis le llarar, eiiA’oie déjà des exj)éditions militaires dans l’Ogaden, et a dés maintenant annexé le pays des Bertiris et des jMelen-Gours. l)e|)uisla bataille d’Adoua l’Abyssinie est devenue une j)uissance redoutable ; elle va s’étendre dorénavant aA ec raj)idité dans le Sud. Là elle ne j)ourra maiKjuer de se heurter aux intérêts de l’Angleterre. Cette dernière laissera-t-elle faire ? ou bien, sans crainte de se voir inlliger la lamentable leçon donnée à l’Italie, s’engagera-t-elle dans une nouvelle campagne d’Abyssi- nie ?La première alternative est, je crois, plus probable. CHAPITRE XII LA FAUNE SOMALIE Le Lion (felis leo). Nom somali : Ltbah. Malgré Lincessaiite poursuite des chasseurs euro- péens, le lion est loin d’être exterminé dans le Somal. Il a disparu du Gouhau, mais on le rencontre souvent dans rOgo. Plus à l’intérieur, il a peu eu à souffrir de la canijiague entreprise contre lui. Un chasseur qui aurait du temps à perdre et se consacrerait uniquement à la chasse au lion, pourrait arriver à un beau résultat. Mais alors il faudrait qu’il cam|)àt j)rès des villages somalis, attendant qu’on lui fît savoir les méfaits des fauves ; rendu à l’endroit indiqué, si la nouvelle n’est j)as fausse, ce qui arrive souvent, il ])Ourrait en tuer à son aise derrière sa zériha, ou aller les chercher à la |)iste, méthode parfois j)lus dangereuse. Certains chas- seurs ont fait du lion un animal terrifiant qui se préci- pite sur l’homme dès qu’il le voit : d’autres en ont fait une bête paisible et lâche, qui ne cherche à se défendre qu’à la dernière extrémité. La vérité est entre les deux. Le lion attaque riiomme dès ([ue celui-ci reiinuie sé- rieusement ; si le temps n’est pas trop chaud, une petite course lui est indiriérente et il détalera volon- tiers. Les indigènes sont souvent victimes des fauves soit qu’ils j)assent la nuit sans abri, soit que le lion saute dans le cam|)ement et n’emj)orte un homme tandis que tous dorment profondément. Il y a des mangeurs d’hommes très connus ; nous en avons ren- contré un à Gabouro, qui avait déjà fait bien des victi- mes. Une fois blessé le lion devient dangereux; l’his- toire du major Sandbach, relatée dans notre récit, est l’une des mille que l’on pourrait citer à l’appui. Au moment où j’écris ces lignes, j’ap])rends par une lettre de notre interprète que le ])auvre Géli, le shikari de mon père, a été tué par un lion qu’un officier anglais avait blessé. Cette mort nous a bien affligés, mon père et moi, qui n’avons eu qu’à nous louer de sa fidélité, de sa bonne volonté et de ses talents spéciaux. Les lions vivant sur les plateaux éle vés du H and et de la prairie de Marar ont une plus belle fourrure que ceux de l’Ogaden ou du Wébi-Ghébéli. Ayant à suj)j)orter des froids plus sérieux, leur poil est plus long et plus fourni. Il est facile de reconnaître si un lion se nourrit de gibier ou s’il j)réfere se gorger de bétail et de Somalis. Dans le jiremiercas, il est maigre, efflanqué, dans le second, gras, étoffé, avec* un ventre l)ien arrondi. Le fusil dont je me suis servi dans cette chasse est la carabine express 500’ de Holland vk Holland tirant 7 7^ grammes de poudre. La balle est en j)loml), et (*on- tient nu tube en cuivre (fui fait ex|)losion en pénétrant dans la bête. J’ai tué ma première lionne de lace au haut de la poitrine ; la seconde de face dans le cou ; mon grand lion, de côté, en lui brisant les deux épaules. Tous trois sont restés sur le coup. Mon j)ère a tué sa lionne d’une balle entre les deux yeux, avec la grosse carabine Paradox cal. 10, tirant 12 grammes de poudre. Cette arme est ])référable à l’express 500 (équivalant environ à T2""“ de diamètre) ]:)our l’affût nocturne, où l’on tire de très près. Nombre des lions tués par nous : 4. L’Eléphâist (Elephas africanus). Nom somali: Marodi. 11 y a quelques années réléj)hant avait presque dis- paru du Gouban et de l’Ogo. Grâce aux sages mesures de ])réservation prises par le gouvernement anglais, ces contrées ont commencé à se repeupler. Nous en avons trouvé des traces jusqu’à Hembaweïna, entre Berbera et Hargeïsa, et au sommet du Mont Gan-Libah, à deux jours de marche de Berbera. Plus loin dans le Bourka, dans le ]:)ays des Aulihans, en Abyssinie, au pays Galla, il y en a de telles quantités que des géné- rations de chasseurs ne parviendront pas à les exter- miner de si tôt. Ces animaux sont des grim])eurs hors ligne qui ren- draient des points au Club Al])in; durant la saison des pluies, ils vivent principalement au sommet des mon- tagnes. Quand la saison sèche arrive, ils vont là où les dernières |)luies sont tombées, afin d’avoir du fourrage vert le plus longtemps ]:)Ossible. Ils se nourrissent de jeunes pousses d’aloès, de branches d’arbres |)lus ou moins tendres et d’autres véoétaux. O I7() — L\‘lé|)haiit (rAfViqiic est un peu plus petit ([ue son cougénère d’Asie, son front est hoinbé au lieu d’être eoiieave. Les défenses sont pins longues et |)lus fortes. Les oreilles sont énormes, eonvrant le cou et une j)ar- tie de la j)oit]ane. Sa chasse est la j)lus dangereuse de celles qu’on peut faire au pays soinali. La charge d’un éléj)hant furieux est souvent mortelle, surtout si l’on a la folie de filer droit devant soi. La nature du pays, tout créj)u de buis- sons épineux, ne j)ermet pas la poursuite à cheval, qui faciliterait beaucoup les choses. L’odorat de la bête est très dévelo])pé. Un vent défa- vorable enlève toute chance de venir à bonne portée. Il faut éviter de tirer sur les femelles qui ont les dé- fenses très faibles. L’ivoire étant tout ce qu’on rapj)orte, ou à j)eu près, d’un élé))hant, il vaut mieux choisir un vieux mâle en un troupeau, que de tirer au hasard dans le tas. L’élé])hant est long à tomber. On a beau viser très exactement au défaut de l’épaule, la balle se perd facilement dans la masse de chairs qu’elle a à traver- ser. C’est cependant le meilleur endroit ])our l’abattre; le coup dans l’oreille est trop chanceux. Ouand l’élé- ])hant charge le chasseur, celui-ci n’a qu’une chose à faire : détaler. Je ne vois pas trop où il faudrait tirer sur un de ces géants se présentant de face. Au milieu du cou peut-être ; en tout cas il faudrait ])our viser juste un sang-froid surhumain, et j)our ne pas être écrasé avant d’avoir touché la détente, une certaine distance. L’arme dont nous nous sommes servis pour tirer les éléphants et les rhinocéros est le |)aradox cal. 10 de Holland A Holland, lançant avec 12 grammes de GIRAFE TUEE DANS LE PAYS AULIHAN poudre une balle d’acier cerclée de j^lomb qui a une remarquable pénétration ; elle traverse son rhinocéros de ])art en part et s’arrête dans la peau du côté o|)posé à celui où elle est entrée. Les indigènes tuent assez souvent les élé])hants, soit en les criblant de flèches empoisonnées, soit en leur coupant d’un coiq:) de sabre le tendon d’une jambe de derrière : inutile d’ajouter que ce genre de chasse en- traîne à chaque instant des accidents mortels. Nombre des éléphants tués par nous: 5. Le Rhinocéros (Rhinocéros bicornis). Nom somali : Ouïl. Le rhinocéros est absent du Gouban et de l’Offo. Il O ne s’aventure que très rarement dans le Haud et cela seulement pendant la saison des pluies. Dans LOgaden et au delà du Wébi, il est très commun et les chasseurs lie sont jias jiarvenus à en diminuer sensiblement le nombre. La nature du terrain qu’il habite rend sa jiour- suite très difflcile. Il passe la journée dans des buissons épineux si éjiais, qu’on l’entend marcher à trois mètres de soi, sans jiarvenir à l’apercevoir. Neuf fois sur dix on revient bredouille, la bête ayant éventé le chasseur avant cjue celui-ci ne l’ait vu. Dès que le rhinocéros a flairé le danger, il renifle bruyamment, baisse les cornes et se jirécipite dans la direction qui lui convient le mieux sans se préoccujier si le chasseur se trouve devant lui. Une fois blessé, il se jette sur celui-ci quand il arrive à le voir, ce qui n’arrive pas toujours à cause de ses mauvais yeux. Son odorat en revanche est extra- ordinaire. On [)eut échap|:)er à la poursuite d’un de ces pachydermes en courant autour des buissons; mais si 12 17H — l’on SC trouve pris entre deux imirailles d’éj)ines, il laut viser avec sang-froid la tête ou réj)aule, selon que ranimai arrive le cou levé ou la tête entre les jambes ; si l’on manque, on j)eut dire son « conliteor. » Quand on le laisse tranquille, le rhinocéros est inolïensil. Herbivore, il se nourrit surtout de j)etits buissons aux feuilles molles et aromatiques qu’il arrache avec ses grosses lèvres j)réhensiles. Il ne s’éloigne jamais beaii- cou]) de l’eau et chaque nuit descend dans les vallées pour boire et se baigner. Au lever du soleil, il remonte sur les ]:)lateaux, afin de faire sa sieste dans un taillis confortable. Il est rare qu’on en rencontre plus de trois ensemble. En marchant il laisse j)endre sa tête, et ses cornes creusent un sillon sur le sol. La corne de derrière est plus courte que celle de devant. La ]:)eau de rhino- céros est très j)récieuse : on en fait mille beaux objets; durcie et polie elle ressemble à l’écaille et l’on peut en faire des vases et des cou|)es. La Girafe (Cameleopardis Girafa). Nom somali : Girri. Elle ne se trouve que de l’autre côté du Wébi, et là même elle est très rare. La première qui ait été tuée dans tout le ])ays par un chasseur européen est tombée sous les balles du major Wood ; mon jière et moi, avons abattu la seconde. On dit que c’est une es|:)ècc nouvelle. Telle est entr’autres l’opinion du savant natu- raliste de Londres, M. Rovcland AAhird. La girafe ne tardera pas à disparaître. Ce ne sont pas, comme on l’a vu, les Européens qui en sont fautifs, mais les Aidihans chassent avec acharnement ce gibier déjà très rare, ]:)Our sa peau ])récieiise et sa viande exquise. Avec rautruche, la girafe est ranimai le plus difficile à ap])rocher. La vue, Touïe, Todorat sont également bien développés chez elle. Sa grande taille, son long cou lui permettent de voir de très loin le chasseur qui arrive à travers les buissons. Pour tirer la girafe une carabine express suffit amplement. Je crois qu’il vaut mieux ne pas se servir de balles explosives, la peau étant très épaisse. Nombre des girafes tuées ])ar nous : I (la seconde tuée au Somaliland par un Européen). La Paxthèhe (Felis Pardus). Nom somali : Chebel. La panthère se trouve ])artout au ])ays Somali aussi bien au sommet des montagnes que dans les vallées et autour des villages. Elle saute la nuit dans les zéribas ])our y saisir des chèvres et des moutons. On cite j^lu- sieurs vieilles panthères qui se sont établies mangeuses d’hommes de profession : mais elles ne se livrent guère à ces exploits que la nuit. Bien moins dangereuse à chas- ser que le lion, les indigènes l’attendent souvent de pied ferme, une lance à la main. Une fois blessée, ou quand elle se voit toute retraite coupée, elle peut devenir terrible et la méfiance à son é^ard est de rie*ueur. Le meilleur moyen d’en tirer une est je crois d’attacher une chèvre en un endroit fréquenté j)ar elle et de se mettre à l’affût au clair de lune. Il est rare de rencon- trer des panthères durant le jour. Nombre des jianthères tuées pcir nous : 2. 180 — Le Guéi>ari) ou Léopard de chasse. Nom soniali : Orkor. Le guépard, plus j)etit, plus fauve, plus tacheté que la panthère, est assez coiniiiuu au pays Somali ; les in- digènes ne font guère de distinction entre le guépard et la ])anthère ; ils disent seulenient que le guépard est une |)anthère dans lacfuelle est entrée Làme dhin homme méchant. Ces idées de métenq^sycose, |)eu conformes au génie local, doivent venir d’une légende indienne. i TACHETÉE. Nom soHiali : Waraba. La Hyène . ,, i- I STRIEE. iNoni somali : Didar. La première espèce de hyènes est très commune : la seconde plutôt rare. Toutes deux sont les bêtes les plus répugnantes que je connaisse. Se nourrissant de vian- des en décomposition, de cadavres qu’elles déterrent, elles n’hésitent pas aussi à attaquer la nuit les femmes et les enfants isolés. Le jour on ne les A^oit guère. Ce n’est pas une bête qu’on chasse. Il suffit de rester près d’un village pour en tuer tant qu’on veut. Nous en avons exterminé quelques-unes, seulement pour faire plaisir aux Somalis dont elles déciment les troiq^ieaux. Nombre des hyènes tuées par nous : 2 striées, 5 ta- chetées. Le Zèbre (Equus Grevyi). Nom somali : Fero. Il n’y a pas longtemps ([ue cette esjièce de zèbre a été découverte. Les jiremiers exemplaires de la Aairiété Somalie ont été tués en 1893 |)ar le colonel Paget et le (*apitaine Swayne. Dès ([ue l’on a traversé le Toug Faf on a des chances de rencontrer ces hètes superbes. Dans Bourka et le ])ays des Aulilians, ils j)ullulent. Ils vont par petites troupes d’une douzaine au plus. Ils aiment les terrains accidentés et sont très faciles à ap- procher. C’est une chasse peu intéressante : mais la viande du zèbre est excellente et sa j^eau très l)elle. Le zèbre est très curieux : quand il a aperçu le chas- seur, il perd son temj)s à le contem|)ler au lieu de dé- taler. J’ai souvent vu des zèbres si ])eu farouches, si confiants, que je n’ai pu me résoudre à tirer sur eux. Nombre des zèbres tués |:)ar nous : 15. L’Onaghe (Equus nubianus-somalicus). Nom somali : Daber-Dibâttig. L’onagre est de la taille d’un fort mulet. Sa couleur est d’un gris jaunâtre. Ses jambes sont zébrées de raies noires. Il a, à peu près, les moeurs du zèbre, mais il est plus sauvage. On le trouve sur les j:>lateaux rocail- leux du Gouban. C’est une très belle bête. Nombre des onagres tués par nous : 3. LES ANTILOPES Le Grand Roudou (Strepsiceros Koodoo). Nom somali: Goder ou Gouriali. C’est la j)lus grande de toutes les antilopes somalies. Son ]:)elage est brun-foncé avec des raies blanches sur le dos. Ses belles cornes en spirale récomj)ensent amplement le chasseur de toutes les fatigues qu’il en- dure en poursuivant ce gibier farouche au sommet des plus hautes montagnes. C’est une esj^èce rare et loca- 182 — lisée. J^es monts Djigo et Doiirdour contiennent hean- eouj) (le koiulous; les Monts Golis aussi, mais la bête y est très difficile à tirer dans la jungle très épaisse qui couvre leurs cimes. Le petit Koudou (Strcjisiceros imherbis). Il a la taille crun daim; son pelage est d’un gris très Foncé avec des raies blanches. Au contraire du grand koudou qui n’habite que la montagne, le petit gîte dans les fourrés qui tapissent le fond des vallées. Il y en a beaucouj) à Mandcira, au pied des Monts Golis et dans les forêts du Wébi. C’est la ])lus jolie et la plus gra- cieuse des antilopes que j’ai vues; elle est très difficile à a])procher et surtout à ajiercevoir dans les éj)ais taillis qui la masquent. A Mandeira j’ai eu la chance de ren- contrer trois forts males et de les abattre tous trois à la même chasse. En somali on l’apelle (( Goder. » Nombre des koiidous tués par nous : 2 grands kou- dons, II petits koudoiis. Le Bubale de Swayne (Ilartebeest. — Bubalis Swaynei). Nom somali : Sio. Ce bubale a été découvert par le cajiitaine Swayne. On ne le trouve que dans les grandes plaines du Ilaiid et la ])rairie de Marar. Près de Jig-Jiga on le rencontre par troupeaux de milliers de têtes. Un male adulte est de la taille d’un mulet. Le pelage est d’un marron très foncé, et luisant comme celui d’un cheval bien soigné. Scs cornes sont analogues à celles du bœuf, mais plus recourbées, moins dessinées et plus massives. Nombre des bubales tués ])ar nous : 8. L’Okyx (Orix bcïsa). Nom somali : Bheït. C’est une grande antilope aux formes bovines, avec un goitre très jjrononcé. Ses cornes sont très belles, droites sauf une légère inflexion en arrière. On trouve l’oryx ])artout ; sa chair est excellente. L’oryx n’est pas dangereux à chasser, à condition qu’on ne s’approche pas trop de lui c|uand il est blessé ; on ])ourrait très bien se faire empaler sans cette j)récaution. Les cornes du plus grand oryx tué ])ar nous mesurent 91 centimè- tres de longueur. Les Midgans chassent souvent l’oryx avec des chiens qui le forcent à s’arrêter jusqu’à l’arri- vée du chasseur. Nombre des oryx tués par nous : 25. Le Robe a croissant (Waterbuck. — Gobus Ellipsiprymnus). Nom somali : Balanko. On ne trouve au Somali land le kobe f[ue sur les bords du Wébi-Ghébéli ; il ne s’éloigne jamais à plus d’un kilomètre du fleuve. Son ])elage est d’un gris bru- nâtre et il a un grand cercle blanc sur sou arrière- train. Il a la taille d’un cerf de deux ans. Les femelles n’ont pas de cornes. Il aime beaucc^u]) l’ombre et ne quitte la forêt c[u’au coucher du soleil pour se rendre dans les champs de sorgho. Les indigènes les prennent en creusant des fosses recouvertes de bran- chages, munies au centre d’un jiieu aiguisé. Quand ces fosses sont bien construites et bien dissimulées, on y trouve c[uelc|uefois autre chose cjue des antilo|)es. J’ai déniché dans l’une notre seïs Elmi, f[ui y avait dégrin- 18^1 — ^*olé. Sa cluite l’avait telleiiient contusionné qu’il ne |)oiivait niènie pins crier. Pai* honheur le picjuet du fond , mal placé, ne l’avait pas empalé; à partii* de ce jour, nos liommcs n’ont plus appelé le pauvre seïs que Ba- laidco (le kohe). Nombre de kobes tués par nous : 4. Le Busiihuck (Tragela|)lius décida). Nom somali : Don. I^etite antilope très rare, habitant les plus é])ais four- rés riverains du Wébi. Mon père en a entrevu deux, glissant comme des ombres |)armi les buissons. Il n'a |)u les tirer. Le Dik-1)ik (Madoipia Swaynei). Nom somali: Sakxuo. C’est la plus petite antilope connue ; elle a tout au plus la taille d’un la|)in. Ses cornes sont courtes, droi- tes et très pointues. C’est le gibier le plus commun, on le fait lever pour ainsi dire à chaque pas. On le trouve |)artout, sauf dans certaines parties du Haud. Ces antilo- pes en miniature sont faciles à tirer avec une carabine de |)etit calibre, à une centaine de pas. On |)eut les tirer aussi au départ avec un fusil de chasse et du plomb N"" ^j, mais il faut être excellent tireur pour cela, car le petit dik-dik fait des bonds incroyables. Il y a trois espèces de dik-dik, Madoqua Swaynei, Madoqua Phil- lipsi et Madoqua Guentheri . L’Antilope Baïha (Oreotragus megalotis). Nom somali : Haïra. Très rare, on ne la trouve que dans les Monts Colis et les collines du pays des Gadaboursi. De la taille d un chevreau, elle vit parmi les rochei*s. L’Ohéotrague sauteur (Ivlipspringer. — Oreotragus saltator). Nom somali : Alikoud. Cette j)etite antilope vit dans les j)arties les pins rocailleuses des Monts Golis, et son agilité est légen- daire. Nous en avons trouvé des traces sans arriver à en voir jamais une. Le male a de j)etites cornes droites et courtes ; la femelle n’en a pas. LLS GAZ LL LL S La Gazelle de Scœmmering (Gazelle Scœmmeringi). Nom somali : Aoul. Partout où il y a une grande plaine avec de hautes herbes, on rencontre cette jolie bète. Son corps res- semble |)lus à celui du mouton qu’à celui de la gazelle ordinaire. Dans les grandes prairies du Ilaud on en rencontre des troupeaux de plusieurs milliers de tètes. Les cornes de l’aoul ont la forme d’une lyre. C’est un animal facile à tirer ; sa chasse est d’un médiocre intérêt. Les femelles beaucoup ])lus nombreuses que les males, ont les cornes beaucoup plus minces. Nombre des aouls tués par nous : 55. La Gazelle de Waller (Gazella Walleri). Nom somali : Géréixouk. C’est une grande gazelle, maigre, efflanquée, aux allures de girafe. On la trouve partout, sauf dans la plaine maritime et les grandes pj’airies. Elle est assez ililïicile à ap])rocher. Sa couleur est d’un marron clair. La femelle n’a pas de cornes. Nombre des gérénouks tués ])ar nous : 24. La Gazelle de Speke (Gazella Spekei). Nom somali : Dhéro. Plus petite que les précédentes, on ne la trouve que clans rOgo. Ses formes sont très élégantes ; ses cornes annelées et recourbées en avant, sont très minces chez les femelles. Son signe caractéristique est une petite excroissance sur le nez. La Gazelle de Pelzelx (Gazella Pelzelni). Nom somali: Dhéro. On ne la trouve que dans le Gouban : elle est facile à a])proclier et à tirer. Elle ne diffère guère de la précédente que par l’absence de l’excroissance nasale. Nombre de gazelles S])ekei et Pelzelni tuées par nous : IG. La Gazele de Clarke (Gazella Clarkei). Nom somali : Diratag. Découverte en 1891 par M. Clarke dans le pays des Dolbahantes et des Marehan, elle a la queue et le cou très long ; les cornes fortement recourbées en avant chez le mâle, manquent chez la femelle. Nous u’avons pas vu un seul exem|)laire de cette espèce. Les comtes Potocki et Zamoyski en ont tiré j)lusieurs dans leur expédition, qui a eu lieu en meme temj^s que la notre. 187 — Le Sanglier phagocère (Phacocerus œthiopicus). Nom somali : Üofar. Le sanglier somali a le corps presque dépourvu de poils à ])art une assez forte crinière. Les quatre défenses sont très grandes, surtout celles de la mâchoire supé- rieure. Le mâle a le museau orné de 4 grosses verrues qui lui douuent un asjiect encore plus horrible que la femelle. 11 jiasse la journée dans des terriers ou des buissons très épais et n’eu sort que vers le soir. Blessé il peut devenir dangereux ; ou le trouve dans tout le pays. Nombre de ]:)hacocères tués par nous : 8. L’Hippopotame. Nom somali : Jer. Ou ne le trouve guère que dans le cours inférieur du Wéhi-Chébéli. J’en ai ]:)Ourtant vu une trace déjà ancienne à Seu-Moretou. Le Buffle sauvage (Bos ceutralis). Nom somali: Jennus. Il n’y en a pas sur la rive gauche du Chébéli ; quelques- uns errent sur la rive droite. On dit qu’ils sont nom- breux sur les bords du Wébi-Webb. Les Singes... Nom somali: Dater. Ils sont de trois espèces : 1. Le Grand babouin à crinière dans les montagnes et les terrains accidentés. 2. Une sorte de babouin sans crinière, sur les bords du Wébi. 3. Des singes, petits, à longue queue, dans les grandes forêts du Wébi, où ils grouillent en masse parmi les branches. — 188 — \æ Chocodilk. Nom somali : Djiiias. Le Wél)i-Gliéhéli est j)leiii de ces sauriens maltaisaiits qui se nourisseut de poissons, de hétail et d’indigènes. Ils dorment sur les rives, la hoiiehe grande ouverte : au moindre bruit ils se replongent dans l’eau. I^a meil- leure place à viser pour les tuer, est la partie du crâne com])rise entre les deux yeux, plutôt un ])eu en arrière. Le crocodile même mortellement blessé, reste bien rarement sur |)lace. Il réussit presque toujours à rega- gner l’eau, où il est perdu pour le chasseur. Nous en avons blessé une cinquantaine et tué quatre. Le Gibier a plumes. D’abord X Autruc/ie, partout où le terrain est absolu- ment ])lane. C’est certainement le gibier le ]:)lus diffi- cile à a])j)rocher et à tirer. Des Outardes de plusieurs esjièces : une Caticpcti'ere à collier : ces oiseaux un ])eu partout ; — trois espèces de jiintades, qu’on rencontre par bandes considérables; on les massacre à son aise et sans intérêt : — le franco- lin somali, dans tous les épais fourrés ; — un faisan à queue courte, très commun dans les lits des rivières à sec. On jieiit faire de jolis tableaux de jierdrix et de faisans, si deux hommes prennent la jieine de battre les l^uissons avec de longues gaules. Nous avons rencontré sur les bords du ^^"ébi une oie sauvage ayant la jioitrine grise et le dos rougeâtre. Pendant la saison des jiluies, il y a des canards sauvages; mais nous n’en avons pas vu. LISTE DES PLANTES récoltées par les Princes Démètre et Nicolas Ghika- Gomanesti clans leur voyage an pays des Somalis PAR G. Schweinfurth et G. Volkens. L’exploration géographic{iie de l’angle nord-est du continent africain occupé par la puissante tribu des So- inalis a fait dans ces dernières années de rapides pro- grès. A mesure cjue les ténèbres de l’inconnu com- mencent à s’y dissiper, nos notions botanicjues se signalent aussi jiar des résultats inattendus. Grâce aux efforts des vaillants explorateurs et à leur assiduité, la dore somalienne se fait déjà entrevoir dans toute sa richesse et dans sa singularité étrange. Les mystères de cette contrée inhospitalière et jadis si inaccessible à cause de la fierté farouche de son peuple, se dévoilent peu à peu et l’heure paraît jiroche où cjuelcjues obstacles insurmontables de la nature seront même jiour cette Somalie redoutable la seule barrière devant lacjuelle les efforts de l’iiomme devront se déclarer impuis- sants. 190 — Le regretté J.-M. Iliklehranclt, un des pionniers les j:)lus méritoires de notre science, fut le premier qui prît connaissance de cette flore en explorant botaniquement la montagne d’Ahl située près de la côte et à Lintérieur de Las-Gori. M. Georges Hévoil lui succéda avec une magnifique collection de plantes réunies à différents endroits du nord de la Somalie. Mais ce n’est que plus récemment que les collections botaniques vinrent s’ac- croître ])ar les nombreuses exj)éditions des dix der- nières années, qui dotèrent la science d’une foule de nouveaux genres et d’esj)èces inconnues. Les docteurs Paulitschke et de Hardeggerb ainsi que rex])lorateur italien Robecclii-Bricchetti nous rap- portèrent de précieux matériaux j^our l’étude de la flore du nord-ouest du pays situé sur le ])arcours de la route de Zeïla au llarar. Mais les autres voyageurs de cette catégorie auxquels la botanique tenait à cœur ])rirent généralement leur point de départ au ])ort de Berbera, parcourant tous au début de leurs périgri na- tions la même région, notamment le pays situé entre le Golfe d’Aden et le fleuve ^A^ébi-Chébéli. Citons ])armi ces explorateurs les noms de Mr. F.-L. James et de son infatigable médecin M. Trupj)^, de Mme Lort- Philips^, et une fois encore celui de l’ingénieur Robecclii- Bricchetti, enfin le nom du très regretté Prince Eugenio Ruspoli et celui du l)‘‘ Donaldson Smith dont les collec- tions ne commencent que ces jours-ci à être élaborées ' Publiés par lo D’’ v. Beckdans: Paulitschke, Harar, (Leipzig 1888), p. 450-462. ^ The uiikuowii horu of Al'rika (TjOucIou 1888), p. 818, etc. ^ Kew Bulletin, 1895, p.211, etc. 191 — et ])iibliées par les soins de Mr. Baker fils et de M. A. -B. Bendle de Londres k Les collections du Prince Ruspoli, les plus vastes réunies jusqu’ici dans cette région, sont dues princi- palement au zèle des comj)agnons de ses deux voyages d’exploration, les docteurs G. Relier et Domenico Riva. Ce n’est qu’en partie qu’elles ont été étudiées et quel- ques familles de plantes seulement ont paru dans l’annuaire de l’Institut de Botanique de Rome, G. Lindau ayant décrit les Acanthacées, E. Gilg les Gapparidacées et les Tliymelæacées, E. Ghiovenda les Graminées, P. Henni ngs les champignons^. M. H. Schinz de Zurich et ses collaborateurs ont publié quelques-unes de ces plantes appartenant à des familles variées^. Le ])roduit des herborisations des Princes Ghikadont. nous donnons ici une énumération descriptive vient de la même région que le Prince Ruspoli a traversée à deux reprises. La coïncidence de plusieurs de leurs découvertes ne peut donc avoir rien d’étonnant. Les deux collections ont bon nombre d’espèces en commun. Les matériaux dont nous disj^osons ])our l’étude botanique se composent de 55 es]:)èces différentes, dont trois, j:>ar suite de l’état incom]:)let dans lequel elles se trouvent, ne peuvent être classées avec précision que par raj)port aux genres auxquels nous les attribuons. Par conséquent il ne reste que 52 espèces étant sus- ceptibles d’une définition accom]:)lie. Malgré ce chiffre insignifiant nous n’en disposons pas moins de Ib ^ Journ. of bolany, London 1896. ^ Annnario del R. Islilulo Bot. Roma, YI p. 67-83, 161-176. ^ Bull, de l’herbier Boissier 1895 et 1896. — m — es|)èces nouvelles et j)as encore décrites. La moitié des cs|)èces énumérées j)eiivent être considérées comme nouvelles j)our la région et non encore trouvées dans les limites du |)ays somali. Des 144 espèces de la collection Hévoil que M. Fran- cliet avait énumérées dans son « Sertum SomalenseD) trois seulement sont représentées dans notre collection, tandis que [)armi les plantes de MM. James et Trupp il y en a de 8 à 10 qui sont identiques aux nôtres. Les plantes cueillies par Mme Lort-Philips restent en dehors de ce parallèle, M. I. G. Baker n’ayant ])ublié jusqu’à ce jour que les espèces nouvelles qui sont au nombre de 09 sur 350 formant la collection. Il résulte des chiffres indiqués, surtout lorsqu’on considère le tant pour cent si élevé qu’offre la collection Gbika au ])oint de vue des nouveautés, que les richesses de la flore du pays des Somalis sont loin d’être épuisées et qu’en outre par rapport à l’endémisme de ses formes végétales aucune autre région du continent Africain ne lui est comparable. Nous enregistrons un nouveau genre de ])lantes que nous dédions à l’illustre famille des Gbika. Le Ghikæa va se joindre aux autres genres parti- culiers à la flore somalienne, tels que les Pleuropteran- tba, Cleomodendron, Ivelleronia, Gilgia, Editbcolea, Ilildebrandtia, Cyclocbeilon, Lindavia, Ruspolia et Leucobarleria. Notre genre représente un type spécial de la famille des Scropbulariacées. Rentrant dans la section des Gerardiées, cette j)lante se distingue autant ^ Kcvoil, G., Faune et flore des pays Somalis, (Paris 1892). LIONNE TUEE PAR MON PERE A DER-MARODILE m — par l’éclat et la grandeur de ses Heurs que par leur organisation singulière. Nul genre de cette famille à ce ([u’il nous semble n’oflre le caractère curieux qui se rattache ici à l’insertion de la Heur. Chez le Gliikæa les Heurs qui naissent isolées à l’aisselle des bractées ne sont j)oint attachées à cet endroit même, mais un peu su])erposées à l’aisselle, tandis qu’en même temps une ou deux émergences formées à l’instar de glandes se dévelopj)ent sur la tige au-dessous de la base du péd icelle au-dessus de la bractée. Ces émergences rej)résentent d’après notre 0])inion des boutons de Heurs déformés et réduits. Cette ])articularité de son organisation chez le Ghikæa nous raj)j)elle certains représentants de la famille des Pedaliacées où se trou- vent régulièrement des glandes à la base du ])édicelle. Du nombre de ces derniers est le Sesamum macranthum Oliv. lequel tant par son port que ])ar les glandes mentionnées nous offre une grande analooie avec le O O Ghikæa. Cependant les organes sexuels de notre plante ne j)euvent faire douter qu’elle ne soit une vraie Scro- phulariacée. Les anthères si étrangement caudées se re- trouvent dans le genre llarveya, mais le nôtre n’en a point aux deux étamines raccourcies, les deux longues seules y portent de ces apj)endices, qui se montrent chez le llarveya également sur toutes les quatre étamines. Le Ghikæa s’éloigne en apparence de l’Ilarveya par le développement normal de ses feuilles. Pourtant parmi les vrais llarveya nous avons des espèces f[ui ne sont })as entièrement dé|)ourvues de feuilles, tel est le cas chez le 11. obtusifolia (Bth.) Vatke, et cliez le 11. versicolor Lngl. qui en portent ([uelques unes de j)etite 13 taille, il est vrai, mais une espèce inédite de rKrytlirée italienne, le II. foliosa Seldth. en j)ossèdc de véri tables. Il j)araît même que dans ce genre il existe des espèces (pii substituent au régime habituel celui de semiparasite (jui n’est pas selon la règle. Parmi les autres genres reinarcjuables contenus dans la collection des princes Gliika nous citons les Diaspis, l^]rytlirochlamys, Caj)itanya, Ivelleronia et Lindavia. Tous les cinq sont monotypicpies, c’est-à-dire basés sur une seule esj)èce. Les deux derniers sont exclusi- vement de la dore du ])ays des Somalis. Les trois autres y font apparition pour la ])remière fois. Le Diaspis a été fondé sur une |)lante recueillie par feu M. llildebrandt à Teita dans l’Afrique orientale anglaise. L’Erythi'o- chlamys fut découvert par feu le D' G. A. Fischer dans la région des Massai. Enfin le Capitanya, genre des La- biées voisin du Coleus a été découvert en LS7b j)ar Th. de lleuglin dans le pays des llaba])sau nord de l’Erythrée italienne. Ce genre fut dédié |)ar le 1)' Schweinfurth à la mémoire de feu le Baron de Müller-ProslvO-Caj)itanv qui retrouva la plante en LSSO. Le l)'’ O. Penzig l’a re- cueillie dans la vallée du Lava de l’Erythrée, enfin le I )'■ Volkens l’a retrouvée au |)ied de la montagne d’Ugueno dans l’Afrique orientale allemande. Maintenant la loca- lité sur le Dagatto constatée ])ar le Prince 1). Gliika sert de trait d’union entre ces deux paiages si esjiacés. ij’énumération ci-jointe n’est pas assez étendue pour pouvoir se délayer ici longuement sur la constitution phytogéograj^hicpie de la région somalienne et sur les relations (pii jieuvent exister entre elle et les pays voisins. Ce n’est ([u’en combinant les documents pré- — 195 — sents avec les résultats obtenus antérieurement que nous saurons nous en faire une idée précise. Comme l’avait dit M. Franchet dans l’ouvrage pré- cité, les plantes de Hildebrandt nous font voir une flore qui ne ])araît avoir de rapports qu’avec l’Arabie méridionale et le littoral de la Mer Rouge, tandis que les herborisations de M. Révoil indiquent une affinité évidente d’un côté avec la Flore de l’Abyssinie et de l’autre côté avec celle de l’Afrique australe. Par la dé- couverte du pistachier et d’une espèce de buis dans la montagne d’Ahl la présence des plantes typiques carac- térisant la flore de la Méditerranée fut constatée. De- ])uis les rapports qui existent entre la flore Somalie et celle de l’Abyssinie et de l’Arabie heureuse ont été plus amj:)lement confirmés par des explorations récentes. Quant aux représentants de la flore du Gap dans le pays Somali, comme les Pterodiscus, Lobostemon, Ghaenostoma, Artlirosolen et Kissenia, nous ne les avons ])as vu s’accroître au même degré par des espèces nouvellement découvertes. La collection Ghika ne peut modifier sans doute ces constatations d’une façon essentielle, mais unie à l’her- bier Ruspoli, que nous avons pu consulter au Musée de Berlin, où il est déposé pour quelque temps, elle nous confirme à plusieurs rej^rises que bon nombre d’espèces qui caractérisent la flore de l’Afrique orien- tale, tant l’allemande que l’anglaise, sont également répandues au ])ays des Somali s. Les plantes de cette dernière catégorie sont généralement des Xero|:)bytes, ]:)Oussant sur des terrains déserts et grâce à une orga- nisation ])rotectrice elles sont suffisamment armées poiii’ soutenir la lutte eontre l’action destructive d’une sécliei'esse excessive et persistante. D’un autre côté les espèces c[ui au pays des Sonialis préfèrent des stations humides, ont dans la majorité des cas leur patrie en Abyssinie et c’est de cette région des hauts plateaux (pi’elles doivent s’être pro])agées vers le Sud. Du considérant la collection au ])oint de vue systéma- ticfue et ])ar groupement des familles (:[u’elle contient, il paraît étonnant que pas moins de 9 espèces — c’est la sixième — y a|)partiennent aux Acantliacées. M. Fran- cliet pour la collection Uévoil en indique I 1 espèces, M. Lindau j)our celles de Bricchetti et de lUis|)oli cite et décrit aO esj)èces (sans comj)ter une autre douzaine d’Acanthacées ([ui sont contenues dans la collection du ])remier voyage du Prince Bus[)oli, déj^osée au Musée de Zurich), enfin M. Rendle pour la collection Donald- son Smith en donne le chiffre de 29). Il s’ensuit de là qu’en Afrique le |)ays des Somalis doit être regardé comme la contrée d’Acanthacées |)ar excellence et que cette famille y aurait ])ris son déve- loppement spécifique le |)lus riche. Les familles qui dans cette flore après les Acantha- cées excellent en nombre d’es])èces sont les Cap])arida- cées, les Asclépiadacées, les Eu])horl)iacées et s])éciale- ment les Burseracées dont les genres Commiphora et Boswellia fournissent la myrrhe et l’encens, substances (|ui ont rendu la contrée jadis si célèbre. Toutes ces |)lantes habitant une région des plus torrides et en même temj^s d’une ai’idité excessive sont armées de différentes manières pour la lutte de l’existence. Tan- tôt elles abondent en épines et en piquants, tantôt elles 197 sont privées entièrement de leur feuillage ou elles ont les feuilles réduites à un rudiment minime, comme c’est le cas chez le Gapparis decidua (Porsk). D’autres se couvrent d’un vêtement de poils laineux et de feu- trage, tel que le Sericomopsis pallida (Schinz). L’Arabie, les côtes de la Mer Rouge, l’Afrique orien- tale et australe, surtout le sud-ouest de l’Afrique allemande ont en commun ce climat torride et chaud qui distingue le |)ays Somali, j:)ar conséquent les végétaux qui se sont formés sur cette vaste étendue de j^ays ont une analogie des j)lus fra|)pantes entre eux par leur apj:)arence et leur port malgré leur éloignement res- pectif dans le système. Ouant aux autres espèces que nous regardons comme les vrais autochthones elles ont suivi les mêmes règles de l’évolution et ont été menées sur la même voie de déformations par la rareté extrême de l’eau dans ces parages. Nous ne pouvons |)as terminer ces quelques ])ages sans témoigner au nom de la science une vive satisfac- tion ])our les bons offices rendus à la botanique par MM. les ]:)rinces Ghika qui malgré les nombreuses occupations de leur voyage fatigant n’ont cessé de ])rêter leur précieux concours à l’exploration botanique de la région parcourue. Les nouveautés qui en sont résultées dans une proportion aussi grande nous démon- trent avec une j^ersuasion évidente que, pour le voya- geur dans une région si ])eu explorée, la jieine qu’il applique aux herborisations lui rapjiorteen général des fruits autrement sérieux que s’il ne collectionnait qu’ indistinctement les oiseaux, les scarabées et les papillons qui lui tombent sous la main. PLANTARUM ENUMERATIO ET DESCRIPTION Gramina. 1. Sporobolus Ghikæ SdnvftJi. et Volkens sp. ii. Pcrennis, culmis erectis, vaginis glabratis margine dense ciliatis, ligula miniitissime ciliolata, lamina sat dilatata in iitroque ])agina tubereulato-pilosa, apicen versus glabrata ; panicnla laxa longepedunculata, ra- eemis j^atentibus 4 — 5 — verticillatis, spiculis oblon- goaciitis subpatentibus breviter pedicellatis, ])ediceIIo s])icula dimidio vel multoties breviore, glumis diajiha- nis subenerviis dorso hirtulis, gluma I spicnla bre- viore lanceolata, gluma II spicula dimidio breviore obovata acuminata, glumis III et IV subæqualibus ovatolanceolatis acutis apice inconspicue laeeratis. Species S. minuto Trin.) ac S. festivo Hocbst. pro- xima sed dilfert floribus majoribus et gluma I breviore ; a reliquis congeneris glumis I et II apice magis acutatis distineta glumisque omnibus hirtulis. Foliorum indu- mentum ille Sp. j^odotrichi Ghiov. Prope flumen Salul vel. Novembre llorens. ^ Collectio plantarum in hisco foliis discriptarum in prædio principis Demetrii Ghikæ Conianestiano (Distr. Bacan, Rotnania) asservatnr. — 200 — Commelinaceæ. 2 et 0. Coniinelina sp. Adsinit bina floiirera intCM* se non eon- griientia seci varictates ejusdcni spcciei exil)cntia C. latifoiæ. Iloclist. affinis vel ipsius, unuin glaherriiniim, alterum omnibus j)artibus pubesccns. Desunt fructus niaturi quamol)rein species remanet dnl)ia. Ad torrenteni Daiiadid, Oorens l)e(*eni])re. Amaryllidaceæ. 4. Criniim scabruni Bah. Bol. Mag. t. 2180. Ad torrenteni Dagatto. Floret I)eeenil)re. Loranthaceæ. 5. Loranthiis ciirvifloris Benth. llook., Icon. XIV, 3. t. 130'i. In regione Biirka. Floret Novembre et Deeembre. (). Loranthus Ghikæ Volhens et ScJnvftli. sp. n. Uamnlis novellis dense eineropilosis, adnltis glabris ; foliis alternis, appi’oximatis vix jietiolatis erassecoria- eeis dense pilosis oblongis parvis ad 1 0 '"/m b^igis o latis, nervis ine()ns])ieiiis ; lloribus solitariis, bracteis tribus snllidtis, folia adanjuanl ibiis, eupiila braeteali ])edieellata oblicpia aj)ieido doi’sali instrueta breviter j)ilosa, ealy(*ulo eylindrieo glabro truneato margine — 201 ciliolato quain cupiila bractealis l’ere triple loiigiore ; pcrigoiiii laciniis coriaceis nitidulis linearibus tubum siiperne iinilateraliter lissum j)aullo siiperantibus j)ur- [)urasceiitibus ad basin llavesceiitibus ; lilamentis au- guste linearibus a basi laciniarum liberis, parte libéra antheras lineares æquante ; stylo tenui filiformi pen- taorono in stigma ^lobosiim exeunte. Sj^ecies affinis L. microphyllo Engl., dieata in hono- rem Prineipis Nicolai T). Ghicæ plantarum descri ])ta- rum indelessi collectoris. Cortex longitudinaliter rimosa, lenticellis incon- ]:)icuis. Mensuræ: Internodia ramulorum floriferum 5 — 8 “7,,^ longa. Calyeiilus 5 "7„i longus. Perigonii tubiis caly- culum 7 — 8 "7,„ superat, perigonii laciniis 14 — 17 '"/m longis latitiidine 1 "Ym i^on attingentil)us. Antheras 5— (P7„, longæ. Ad montem Kaldescli vel. Décembre llorens. Amarantaceæ. 7. Sericocomopsis pallida (T. Moore), ScJiinz. Engl. Bol. Jahrb. XXI, 1896, p. 185. In regione Burka. Friitex 40 altitudinis ubique frequens pabulum præbet rhinocerontibus quo maxime delectantur. Capparidaceæ. 8. Capparis decidua (Forsk) Fax. Dél. Fl. Eg. 74 t. 26. In regione Burka jirope montem Kaldescli. Décembre llorens et fructifera. — 202 — 9. Cadaha longifolia D. C. Prodr. I., p. 2'i4. In regionc Burka, inter montes D.jigo et Ivaklesch nsque ad Iluvinm Wel)i Scheljeli. Arl)or 4"' altitndinis. Floret Deeembre. Resedaceæ. 10. Réséda Carmen Sylvæ Volkens et ScJuvfth. sp. n. Erecta tota papillis ])revil)us ol^tecta dense foliosa ; loliis ternato-ineisis, laciniis angnstissime linearibus vel filiformibus ; Iloribus ])edicellatis racemiim densum elongatum sj)ieiforniem lormantibiis ; braeteis lineari- lanceolatis ad racemi aj)icen longe exsertis ; sej)alis deciduis lanceolatis corollam sii])erantibiis ; petalis inæqiialibiis albis, siiperiorum lamina trij^artita ; fila- ment i s mox eadiicis ; capsula erecta glabra oblonga, ore a])erto obtuse-tridentata ; seminibiis ])arvis minn- tissime rugidoso-serobiculatis. Species B. amblyocarj^æ Près, et B. stenostachyæ Boiss. affinis. Mensuræ : Folia ad 6 Vm longa, laciniis 1 — 1, 5 ”7m latis. Spica 20 — 25 Y,,,, braeteæ 5 ])edicellus friic- tifer 4 capsula 11 longa 3 — 5 lata. In regione Burka, in idiginosis mense Deeembre flo- re ns et fructifera. Planta etiam a cl. Kellei* in itinere |)rimo Buspoliano an no bSOl collecta. — 203 — Leguminosæ. il. Acacia Verck Guill. et Per r. Fl. Seneg. I., p. 245, t. 56. In regione Biirka frequens repertur. Frutex 2, 5'“ altus. Décembre florens. 12. Poinciana elala L. Cent. pl. 11., 16. Ad fliimen Dagahbur. Arbor 0'" alla, Novembre llo- rens. 13. Cassia clidymobotrya Près. Flora XXII (1839), p. 53. Ad torrentem Jerer. Arbor 4*" altitiidinis, lloret No- vembre. 14. Crotalaria clumosa Fraiichet. in Révoil, Faune et Flore du pays Çomal, p. 25. Ad torrentem Salnl. Novembre florens et fructi- fera. 15. Crotalaria albicaulis Frauchet. 1. c. p. 26. Ad torrentem Salnl. Frutex 30 altus. Floret No- vembre. 16. Crotalaria Comanestiana Volkens et Schwfth sp. n. Frutex ramiilis novellis, petiolis, foliorum pagina inferiore, racemis calycibusque pilis adpressis dense sericeis ; racemis teretibus ; stipulis miniitis ; foliis longe petiolatis ; foliolis obovatis obtiisissimis, apice — m — niucroiiulatis l)asi cuneatis, |)eti()lo pleruinque bre- vioril)iis, supra glal)ris cuin terminali lateralia paullo su])erante ; raccinis lateralibus louge])cdunculatis pau- cifloris; bracteis lineari-lauceolatis pccliccllo æquilon- gis ; |)e(li(*ellis apice lji|)rophyllatis calycis tubum su- bæquantibus ; calycis tiiI)o deiitibus latelanceolatis acutis j)aullo longiore ; vexillo refracto calycem fere triplo superantc lateovali ; alisoblique oblongis ; carina rectangulo-ciirvata aj)ice longe rostrata ; ovario stipi- tato dense sericeo-\ illoso. Mensuræ : Petiolus2 — d, 5 Vm. foliolum intermedium d — 4,5 longum, 2 — 3 latum ; pedicellus 5"y„i, calyx vexillum 15 — longum. Prope llumen Duri et in regione Bnrka. Floret No- vembre. Zygophyllaceæ . 17. Kelleroiiia splendens Schinz. Bull. Herb. Boiss. III 1895, p. 400. Ad torrentem Salul. Novembre llorens, ciim capsulis immaturis. 18. Tribuliis teii'eslris L. sp. Gcl. I. 387. Ad torrentem Dagatto, llorens Novembre et Dé- cembre. 19. Fagonia Lahovarii Volhens et ScliKvfth. sp. n. Sidlrutex ramis erectis teretiusculis striatis glandu- losis, internodiis petiolos lere æquantibus ; spinis mi- nutis I — longis leviter curvatis ; loliis tiâloliolatis. 20.) — petiolo foliolis petiohilatis ellipticis carnosulis glaiulii- losis pleriimque longiore ; pedicello teniii ; sepalis o\ ato-oblongis acutiusculis glandulosis ; petalis albis ovatis unguicidatis calyce duj)lo longiordjus ; ovario dense ])iloso. S])eeiem F. tenuifoliæ lïochst. affinem inclito nomine Georgii loannis Lahovarii ornavimus, rerum geogra- pliicarum in Romania fantoris et cnltoris doctissimi. Mensuræ : Petiolus l — 2 y,„, foliola l,.^)7,n longa, () — 7 "7^ lata ; j)ediinculns ; sepaia 4 "7m longa, 2 "7m li^ta, petala 8 '"/m longa, .V"/,,, lata. Inter montes Dnrdnr et llnvinm Webi Schebeli. Dé- cembre llorens. Malpighiaceæ. 20. Diaspis albida Engl, Bol. Jahrb. XIV, p. 315. In regione Burka, Iloret Novembre. Tiliaceæ. 21. Triamfetta flavescens Ilochst. in A. Rich. Tenl. fl. Abyss., I., p. 82. Ad torrentem Dauadid. Floret Décembre. Malvaceæ. 22. Ahatilon hirtiim Lam. Ilook. f. fl. Br. India I., p. 327. Ad torrentem Salul. Novembre llorens. — 20G — 23. Pavonia Kranssiana Hodit. Flora XXVII (18'i4), p. 298. Ad Torrentem Salul. Novembre fJorens. 24. Hibiscus micrantJnis Cav. Diss. III. 155, t. 66, lig. 1. Ad torrentem Salul. Novembre llorens. 25. Senra Zoës Volhens et Schwfth. sp. n. Sulfrutescens ramosa, ramis cum j)etiolis, pedieellis bracteolisque hispidis; foliisalternis rotundato-cordatis plus minusve trilobatis denticulatis basi integerrimis utrinque pube stellata ineanis; stipulis moxdeciduis inca- notomentosis ; lloribus solitariis violaceopur])ureis ; pe- dicellis petiolo dimidio brevioribus; bracteolis ternis subæqualibus eordatis acutis hisj)idis (inter mixtis |)ilis stellatis) llorem obtegentibus demum membranaceis ; ealyce 5-partito lanciniis subæqualibus lanceolatis pilo- sis; petalis cuneiformi-obovatis obliquis calyeem duplo superantibus; tubo staminali corolla breviore a basi crassiuscula aj^icen versus lilamenta 20 — 30 emittente ; stylo filiformi glabro tubum staminalem vix superante 5-fido, ramis rellexis dilatatis |)a])illosis, stigmate a])ice oblique truncato, ovario 5-loculari, loculis biovulatis. Sj:)eeies ])ilis a caule liorizontaliter j)atentibus valde insignis. Differt a S. ineana Cav. indumento calyee ])ro- fundius partito et laimulorum styli dilatatione. Species dicata in honorem Zoës I). Gliikav uxoris prineipis Demetrii N. Gbika' pra'stantissimav — 207 — Meiisuræ : Petioli 1,5 — 3 7m7 folia ramulorum flori- ferum 2 — 4 longa ac lata. Calycis laciniæ7"7m lon- gæ, latæ, petala magnitudine varia, plerumque 2 7m ionga et 1 7m lata. Ad ripas torrentis Faf frequentissime repertur. Combretacæ. 26. Terminalia (?) bispinosa Schwfth.et Volkens n. Arljor glaberrima. Ramis, ubi oriiintur ramuli, nodo- soincrassatis, cortice griseo-fusco fibroso-secedente, ramulis valde abbreviatis basi spiiiis binis validis rectis et horizontaliter j^ateiitibus siiffultis ; foliis ad ramido- riim a])ices quasi f'asciculatim ap])roximatis, obovatis breviter ]3etiolatis apice rotuiidatis, basi in petiolum brevem desinentibiis, costis utriiique 2 — 3; racemo fructifero breviter peduneulato, samaris rubescentibus oblongis ala coriacea æqiialiter cincta apice obtiisa vel breviter biloba, basi in |)edicelinm tennem flaccidnm abrupte eonstrictis. Species spinis iiifraaxiliaribns dinstinctissima, quoad habitnm, præter spinas, T. Brownei Fres. simillima. Mensnræ : Arbor 3’“ alta. Spinal 1 longæ. Folia k V,„ longa, 2,5 7m lata, petiolns 0,7 7,„. Racemns 5 longns, frnctns immatnri 2,5 y,„ longitndinis 1 ,2 lati- tndinis mensnrant ]:>edicello, 0,5 longo. lu regione Bnrka. Décembre friictilera. — 208 — Plumbaginaceæ. 27. Statice Maurocordatæ Volkens et Schwfïh. sp. ii. Sufï’rutcx (•aulil:>iis basi deniidatis sviperiie foliosis; [’oliis validis teretibus rnieari-cyliiidraceis mucronulatis sj)inesceiitibus pniinosis reetis vel paullo incurvatis, l)asi iii vaginam bre\ ein amplexicaulein fiiseam dilatatis ; i niloresceiitiis axillaribus, sj)iculis Ijifloris iii spicas secundas distiche dispositis, rhachide recta, l)racteis o])tiisis meml)ranaceis ; calycis tul)o \ iridi strigoso, limbo albido 5-lobo nervis fiiscis percurso. Species S. cylindrifoliæ Forsk. proxime affinis, differt foliis iloribusque diiplo majoril)iis, sj)iculis minus a])])ro- ximatis, præci])ue calycis indumento. Dedicavimus Mariæ J^. Manrocordato, filiæ Principis Deinetrii Ghikæ dilectissimæ, matrinionio mine Prin- cipi Leoni Manrocordato eoniunctæ. Mensiiræ : Folia 0 — 11 longa 1 in diainetro crassa. Inllorescentia — "^0 7m longitndinis attingit. Calyci tnbus 4 — 5 longus, limbo 5 "7„, lato. In re^ione Burka et ad torrentem Danatto. Novembre O O llorens. Apocynaceæ. 28. Adeniuin sonialense Bdlf. f. Ad torrentem Faf. Florct Décembre. Arbor alta trunco 2*" attigente. Cortex illi Fagi sylvatica^ consi- milis sed magis nitens et j^otins griseo-coernlescens. MON TROISIEME LION — 209 — Asclepiadaceæ. 29. Kanahia Delilei Dene. D. C. Prodr. YIII, p. 537. Acl torreiitem Dagatto in uliginosis, florens Novembre. Convolvulaceæ. 30. Ipomoea Ghikæ Volkens et SdnK’fth. sp. n. Frutex erectus ramis clivaricatis glabris, cortice ni- grescente ; foliis parvis ad ramiilos abbreviatos fascicu- latis, petiolo tenui et adpresse-piloso brevioril)us vel ei subæquilongis, lamina reniformi pilis adpressis utrin- que instructa ; lloribus solitariis axillaribus, ])edicello foliis paullo brevioribns adj)resse piloso, sepalis subæ- qiialibus obovatis coriaceis margine auguste et pallide- membranaceis ciliolatisque, exterioribus puberulis, interioribus glabris ; corolla alba calycem circiter sexies excedente infundibuliformi, fasciis 5 mesopetalis apicen versus extus minute subsericeis, lîlamentis inæqiialibus, ])oUine globoso undic[ue poroso et spinoso. Nulli speciei africanæ affinis. Mensuræ : Petiolus 6 — ^8 longus, Foliorum la- mina ad 8 '"/m longitudinis, 12 latitudinis attingens. Pedicellus 10 — 12 calyx 4 corolla 20 — 25 "7m longitudinis æquans. Ad torrentem Sulul et in valle llnvii Faf. Floret Novembre. 14 — 210 — .‘M. Ipomoea (Erpipomea) Paulitschkei Scluvfth. et Volkens sp.ii. Perennis glaJ)ra, caule ])rostrato sulcato-trigono ; loliis margine ciliolatis ceteriim glal)errimus ovalibus vel siil)ol)ovatis, parte anteriore sæpe leviter trilol>is, lol)is rotuiulatis l)asi suhacutis sul)rotundatisve, costis infra laniinæ medium ortis iitrinqiie binis et per paria oj)positis, petiolo lamina tri|)lo breviore ; floribus ter- nis, j)eduncido petiolum æquante, bracteis diminutis, j)edicello calyeis longitudinem non attingente, sepalis lanceolatis inæc[ualibus, extiis ad basin ])ilis albis his- pidis, margine distanter ciliatis ; corolla calycem ses- c[uiexcedente roseopurpnrea breviter infiindibuliformi glaberrima, limbo ad corollæ medium lobato, lobis rotnndatis ; staminibiis tubo incliisis, filamentis brevibus basi dilatatis, antheris linearibus basi sagittatis, stylo brevissimo, stigmate globoso, ovarii se])to spurio, semi- nibus \ glabris lævibnsque. Mensuræ : Petiolus 1 lamina folii 2,5 longitu- dinis, 2,2 latitudinis mensurat ; sepala I 7m longa co- rolla 3 y, „ longa, lilamenta 1,5'Vi,, , antheræ 4’"/,!, , sty- lus vix I Species stylo abbreviato insignis. Inter re])entes non radicantes omnil)us notis singularis. Dedicavimiis viro clarissimo Philippo Paulitsclike in- us lineari-lanceolatis ad basin sensim attenuatis integris acutis pilis sparsis obtectis vel glabrescentiljus ; racemis Iaxis simplicibus terminalibus, verticillastris 4 — 5 lloris ; pedicellis ca- lyce vix longioribus pilis parvis reversis instructis, bracteis lateovatis acutis; calycis pubesceiitis tubo campanidato cum dente superiore orbiculari-decur- rente, dentibus lateralibus triangidaribus, inferioribus apice subulatis ; corollæ tubo calycem paullo exce- dente, labiis extus pilosis tubiim longitudine superan- tibus, filamentis breviter exsertis basi appendiculatis. Species forsau O. verticillifolio Bak. affiuis. Dicata in honorem Principis Barbu A. Stirbey, Prin- cipi Demetrio Gliikæ ex sorore defuucta pro])iuqui. Meusuræ : Folia 1,5 7m longa, 2 — lata, inter- stitia inter floriim verticilla 1,5 7m- Pedicellus iPVmi calyx 2,5’"/,,, lougus corolla 7 — 8’"/,,, longa. In regione Burka. Novembre et Décembre llorens. Solanaceæ. 39. S O la nam coagula ns Forsk. Descr. pl. aeg. arab., p. 47. Ad torrentem Dagatto, Novembre-Decembre llorens. — 2ri — Scrophulariceæ. Ghikæa Volkens et Schwftk. G en. nov. Calyx campanulatus iisque ad 7^ longitiulinis o-fidus, laciniis æqiialil)iis lanceolatis pubescentihiis ; corollæ tubus basi subcylindricus calyci fere æquelongus dorso ciirvatiis in faucem latam saccato-amj^liatus limbo obliquo lobisque 5 fere æqualibus miicronatis margine brevissime ciliolatis, lobis 2 ])osticis interioribus inter se panllo connatis ; stainina 4 didynamia, corolla bre- viora ; antheræ staminnm 2 breviorum basi in calca- rem aciituin leviter cnrvatiim longe prodnctæ ; ovarium ovatum in styliim filiformem valde elongatiim apice stigmatosiiin exeiinte. Genus llarveyæ affine in honorem Princij)is r3eme- trii N. Ghikæ dicatum, itineris in Africain inceptoris et Principis Nicolai D. Ghikæ jilanta hnjns eximie collectoris. 40. Ghikæa spectabilis Volkens et ScJuofth. sp. unica. Friitex ramosiis foliis rainiiloriim llorigernm j)leriim- ([iie o|)positis in jietioliim brcvein atteniiatis ellipticis acutis glandulis sessilibns jiilisqne brevissiinis adpres- sis obtectis ; lloribiis ex apice fere ramnlornin ortis, pedicellis piibescentibiis apice ciiin liraeteolis 2 laneeo- latis tnbo calyeino æqiiilongis ; corolla magna violaeea. Speeies lloribiis violaeeis exiinia. Oiioad habitnm et corolla^ confonnationem eiini nonnidlis Gerardiis siinili- tiidinein pradiet. Folia parva rediieta. Pib in foliis ramn- — 215 — lisque novellis condensati brevissimi e callo albido parvo iiascuntur. Glaiidulæ per foliorum pagiiiam disseminatæ et calyce insidentes oleum resinosum exsudare videntur. Flores in axillis singuli axilis superpositi sunt et ab illis aliqiiantum remoti. In interstitio inter pedicelli et petioli bases callositates binæ, altéra super alteram, (rarius iinica) exstant ex ramulo rotundæ fuscæ, fortasse princi]:)io e lloribns dégénérât i s proveniunt. Mensuræ : Folia 1,5 — 2,5 y,,, longa, 8 — 10"y,„ lata, cum petiolo (5 — longo. Calycis tubus 5’"/^, longus, cnm dentibus longis. Gorolla in sicco 3 et ultra attingit longitudinis, cum limbo in diametro 2,5 y„, aperto et laciniis 0,5 y,n longis, 1 y„, latis. Inter torrentes Jerer et Faf. prope aquarum divortiiim. Floret Novembre. Acanthaceæ. 41. Ruellia pavadoxa Lindau. Ann. R. Ist. Bot. Roma, A I. p. 67. Inter torrentes Jerer et Faf. Novembre florens. 42. Ruellia discifolia, Oliv. In James, Unkn. Horn of Afr., p. 321. Inter torrentes Jerer et Faf. prope aquarum divor- tium. Novembre llorifera. 43. Ruellia Ruspolii Lindau. In Ann. R. Ist. Bot. Roma. A"ol. VI., p. 69. Inter torrentes Jerer et Faf. Novembre llorens. — 2i(; — 44. Lindavia speciosa Bendle. Journ. Bol. XXXIV (1896), p. 'ill. In regioiie Biirka. A Novembre ad Deceml^rem floreiis et fructifera. 45. Barleria proxima Lindaii. L. c. p. 72. Ad torrentem Salul llorens Novembre. 46. ^diV\Qv\2i(Pi‘ionitis) Marghilomanæ Volkens et n. Friitex ramulis obtuse-quadraiigularibus ])ubescen- tibiis ; foliis breviter ])etiolatis, coriaceis ovalibus mii- cronatis ])ungentibus s])arse pilosis, junioribus sericeis : spinis axillaribiis a] bis quadripartitis ; floribiis sessilibus axillaribus decussatis in sj)icam brevem dis])ositis ; bracteis foliaceis a]:)ice spinescentibus ; bracteolis ad aculeas reductis; sepalis liberis sericeis acutis, exterio- ribiis latelanceolatis, interioribus anguste-lanceolatis ; corollæ intiis purj)iireæ, extiis glaiicæ tubo cylindrico elongato, lobo antico oblanceolato, reliqiiis sul)æ- qiialibus basi interse connatis, j)arte anteriore obovatis, apice acutis vel mucronatis. S]:)ccies verosimiliter B. Smitliii Bendle j)roxima. Dicata in honorem Elisæ A. Marghiloman, fdiæ Princi])is Alexandri Stirbey, quæ ])lantis hisce in Africa (‘ollectis o])time conservandis summam oj^eram na- vavit. Præstant ramuli bini curti fragmentarii cum llori- bns in utroque singulis. — 217 — Mensuræ : Folia ad 4 y„i longa, 3 lata extant. Petioliis 4”y,i,; bracteæ 1—2 y„, longitiidiiiis, 0,5 — 1 latitiidinis habent. Spinæ axillares 2 y,,, longæ. Sepala exterioria 1 V,n longa, ^ — a'"/,,, lata; sepala interiora 8 — O'"/,, longa, 2‘y„^ lata. Tubns corolla^ 2 longus. Corollæ lobi 18 — 14'“/, „ longi, 7 — 8'“/,,, lati. Ad torrentem Salul. Novembre florens. 47. Crossandra parviflora Lindau. L. c. Ad torrentem Salnl. Floret Novembre. 48. Echoliiim LiiiiiæiiiLiu Kii/’z. Journ. As. Soc. Beiig. XI, 2 (1871), p. 75. Ad torrentem Dauadid. Novembre llorens. 49. Justicia (Adhatoda) Romaniæ Volkens et ScJuvfth. sp. n. Friitex ramulis glabris ; foliis subsessilibns oblanceo- latis glabris cystolitliis notatis apice rotimdatis vel acu- tiiisculis basin versus margine ciliatis ; lloribus in l’olio- rum axillis 1 — 2, bracteolis minimis subulatis ciliatis ; sepalis iisqiie ad basin fere liberis æqualibus sub- ulato-lanceolatis ciliatis ; corolla llava calyce duj:)lo longiore extus puberiila ; antherarum loculo inferiore longée alcarato. Mensuræ : Folia 10"'/,,, longa, 8'“/,,, lata. Sepala 4 — longa, 0,5’"/,,, lata, corolla 11'“/,,, longa. Stamina 10'“/,n longa. Ad torrentem Salul. Novembre llorens. 218 Curcurbitaceæ. 50. Ciicuniis dipsaceiis EJirhg. In Spach. Ilisl. Vé^. Phan. VI, p. 211. Acl torrentem Daiiaclid. Decemlire ilorens. Compositæ. 51. Guiembergia sp. aff. G. Riieppellii Schz. Bip. Ad torrentem Daiiadid, l)eceml)re florens. 52. Psiadia gnaphaliopsis Schwfth. et Volheus sp. n. Perennis ramis deciimbentibiis subherbaceis dense foliosis albotonientosis ; foliis auguste lanceolatis sessi- libus acutissimis supra griseis, subtus albotomeutosis, nervo medio promiuiilo, costis utriuque 2 — 3 ; ramis floriferis erectis paucifoliatis ; eapitulorum glomerulo globosocongesto longepediinculato, capitulis globosis breviter j)edicellatis ; iuvolucri phyllis 3 — 4 seriatis lineari-laueeolatis acutis liasi medioque tomeutosis, apice submembrauaceis glabratis ; rece|)taculo ])lauo eirca achæiiia bmbrillis l)revissimis acutis stellatim dis- j)ositis ornato ; achæuiis quadraugularil)us liueari-pris- maticis ad augulos nervis 4 elevatis ciuctis |)ateuter pilosis, pappo setoso uuiradiato, setis 25 llorem æquau- tibus acliæuio triplo lougioriliiis, iuvolucrum diqilo ex(*edeutil)us ; corollis llavidis exterioribus l)reviter ligulatis, ligula o])louga acuta stylo cum ajijieudicibiis oblougls parce exserto multo lougiore, (‘orollis iiiterio- i*ibiis cum limbo 5-deutato scabeiailo, tubo corolliua iu — 219 — omnibus filiformi, puberulo antheris ciim connectivo lanceolato exsertis, basi rotunclatis. Species inter Psiadiam, Microglossam et Nidorellam incertæ sedis, ab omnibus quarum congeneris habitu subherbaceo diversa. Ab Kri^eronte acliæniis haud O compressis discrepat, item habitu qui numerosas Heli- chrysi et Gnaphalii nonnullasque Conyzæ formas revo- cat. Corollæ color dubius apparet, an llavus, an fusco- llavidus, certe non rebellus nec albidus. Geteris notis optime cum Psiadia congruit. Eandem sententiam habet cl. O. Hoffmann, compositarum cognitor oculatissimus. Receptaculum more Psiadiæ Schweinfurthii Balf, f. stellato-fibrillosum. Mensuræ ; Peduculus 6 7m- Folia 2,5 7m longa, 0,5 y,„ lata. Capitula 7”7mlonga. Flores 5 longæ, ligula vix 1 "7m longitudinis præbet. Ad torrentem Duri. Novembre florens. 53. AcJiyrocline glinnacea (D. C.) et Hiern. Oliv. fl. Trop. Afr. III p. 340. In regione Burka. Novembre-Decembre florens. 54. PLilicaria arabica Cass. Dict. Sc. Nat. XLIV, p. 94. Ad torrentem Dagatto. Décembre fructifera et florens. 55. Wedelia Abyss inica Vathe. Œstcr. Bot. Zoitschr. XXV (1875, p. 327). Ad. torrentem Jerer et Faf. Novembre florens. TABLE DES GRAVURES Pages. Portraits de MM. D. Ghika et N.-D. Ghika. Le premier rhinocéros 1 Un paysage du Goul)an 8 Zèbre tué par mon père dans la vallée dn Daghato 17 Sanglier phacocère 24 Mon premier éléphant 32 La première panthère • . 40 La vallée du Daghato 48 Euphorbe géante et nid de termites 56 Le mont Kaldech 64 Au bord du Wébi Chébéli 72 Mon quatrième rhinocéros. , 80 Un crocodile tué par mon père 88 Le second éléphant tué par mon père 96 Le rocher des sept voleurs à Mandeira 104 Mon troisième éléphant 112 Un doublet de sanglier. . 120 Le fleuve des léopards 128 Une grotte dans le lit de la rivière Madeno 136 Sen-Moretou 144 Arbre de Goub à Milmil 152 Ma seconde lionne 160 La f'orèt vierge du Wébi 168 Girafe tuée dans le pays Aulihan 176 Lionne tuée par mon père à Der-Marodilé ........ 192 Mon troisième lion 208 TABLE DES MATIÈRES Préface Pages. V Chapitre premier. — Aclen et Berbera. La Traversée. — Brindisi. — Port-Saïd. — Suez. — Bab-el-Manded. Arrivée à Adeii chez le gouverneur. — Préparatifs de l’expédi- tion. — Promenades en ville. — Départ pour l’Afrique sur le stationnaire anglais. — Maït. — Haïs. — Korarn. — Arrivée à Berbera. — Chez le capitaine Abud. — Eggeh Narlayo; notre escorte. — Première étape 1 Chapitre II. — Le Gouban et l’Ogo. Traversée de la plaine maritime. — Description d’une journée de marche. — Composition de notre caravane. — Le campement du soir. — Chasse à la gazelle. — Arrivée sur les plateaux. — Leferoug. — Chasse à l’onagre. — Les premières traces de lions. — Chasse ïi l’oryx. — Hargeïsa. — Le cheik Mattar. — Affût au lion 19 Chapitre III. — La frontière d’Abyssinie. Une mauvaise plaisanterie. — Un orage sous les tropiques. — Posi- tion critique de mon père. — Ma première lionne. — Rousbali. — Traces d’éléphants. — Fausses nouvelles de panthères et de lions. — Mon père et ses gens s’égarent dans la forêt. — La prai- rie du Marar. — Abondance de gibier. — Poursuite d’une anti- lope blessée. — Jig-Jiga. — Rencontre avec les Abyssins. . . 37 Chapitre IV. — Les vallées du Jerer et du Faf. L’étang de Courédéli. — Mauvaise volonté de notre escorte. — Caractère général de la vallée du Jerer. — Les puits de Dja. — L’indicateur des ruches. — La vallée des rhinocéros. — Douali marche sur un serpent. — Dagalibour. — Un brave. — Le 222 TABLP: des MATIERES Pages, Mont Sabalwein. — Ciabouro. — Mon père lue deux rhino- céros. — Un lion mangeur d’hommes. — Une alerte nocturne. — T.,a vallée du Faf. — Le premier Koudou. — Je manque une panthère. — Sigeïsa 59 Chapitre V. — Buorka. (La vallée du Daghalto.) La vallée du Douri. — Plusieurs rhinocéros sont signalés. — Je tue trois zèbres en une matinée. — Le Mont Dabala. — Mon premier rhinocéros. — I^e premier éléphant. — Ma jiremière panthère. — Mon cheval s’enfuit. — L’endroit où fut assassiné Pietro Sacconi. — Chasse mémorable des comtes Uoyos et Coudenhove. — Nous quittons le Daghatto. — Je m’égare dans la foret 77 Chapitre VL — Bourka. (Les Monts Djigo et Kaldech.) Les monts Khodjar. — Mon père manque un lioii par la faute de son shikari. — La rivière Boholodimou. — Deux rhinocéros ratés. — La contrepartie : un doublé de rhinocéros. — Mon père tue quatre zèbres. — Je pénètre dans les monts Djigo. — Ascen- sion du Mont « Roi Charles U*’. » — Encore un rhinocéros. — Charge d’un éléphant furieux. — Une belle chasse : quatre élé- pha nts en un jour. — Le campement sous le Mont Kaldech . . 93 Chapitre VIL — Le fleuve des léopards. J^es Monts Dourdour. — Chasse au Koudou. — Douali s’empoisonne avec le latex d’une euphorbe. — Les Somalis-Géleïmis. — Le Wébi Chébéli. — Sen-Moretou. — T. es crocodiles. — J^e Kobe à croissant ou Waterbuck. — La grande forêt du AVébi. — Tir à la cible. — A la recherche d’un gué. — Le passage du fleuve. — Ma seconde lionne 111 Chapitre YIIl. — Au pays des girafes. Chez les Aulihans. — Dour-Etamé. — Mort du chef des Auliliaiis. — Je tue un léopard. — La rivière du « Prince Ferdinand. » — Halte dans une grotte. — A la frontière Galla. — Manque d’eau. — Rencontre de Gallas. — Nous tuons une girafe. — Une supers- tition Somalie. — La mouche tsétsé. — Retour au Wébi. — Un enfant abandonné 123 Chapitre IX. — L’Ogaden central. Nous remontons le Madesso. — Les grottes d’albàtre dédiées à la princesse Marie. — Les Monts Dek-Marodi et Ouasasalé. — Une bande de singes. — Les premiers phacocères. — Le village de TARLE DES MATIERES 223 Pages. Der-Marodilé. — AHüt au lion. — Mon père tue une lionne ; moi, un grand lion. — Les Rer-Amaden. — Un rhinocéros entêté. — Milinil. — Traversée du Haud. — Hargeïsa 135 Chapitre X. — Le retour à la côte. Le lion de Gabouro. — La caravane anglaise. — Mandeira. — Je tue cinq koudous mâles. — Les Monts Golis. — Ascension du Gan-Tiibah. — Une panthère mangeuse d’hommes. — Arrivée à Berbera. — Le retour 149 Chapitre XL — Les Somalis (d’après les auteurs spéciaux et nos propres observations). Origine et histoire. — Le peuple Galla. — L’invasion arabe. — Formation du peuple Somali. — Les Somalis actuels ; — religion ; — morale ; — castes ; — caractère ; — habitation et nourriture ; — les femmes ; — le mariage ; — éducation des enfants; — com- bats entre tribus et duels; — les animaux domestiques ; — céré- monies et coutumes ; — costumes. — Les explorateurs de la ré- gion. — Situation politique et internationale du Somaliland . . 157 Chapitre XII. La faune Somalie 172 Liste des plantes récoltées par les Princes Démètre et Nicolas Ghika Conianesti dans leur voyage au Jiays des Somalis par G. Schweinfurth et G. V'olkens 189 Plantarum enumeratio et descriptio 199 -A.. s •{ Y -rî ■k t. I 'pa>é^ r . i ■i V- w: • i< e 1^' Uii . *> I » « * ■ f‘. * * V V/V* m r v->. ■' v: ■y.-i ■ t' y { .■■r* ';S- " '<■ é i'f-l ■I4“ Jjj' P^ir" - -J 1 — 1 < \ ^ hîf ' ''''‘' 1 UNIVER8ITY OP ILLINOI8-URBANA 30 12 082290047